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laine, où on la teignait en pourpre, jusqu’aux foulons, aux marchands de bas et aux cordonniers. Aujourd’hui les commerçans qui tiennent la première place dans nos ports de mer sont les armateurs; de même alors la corporation des patrons de navires ou des nautes était rangée parmi celles que l’on considérait le plus. On les trouve en grande estime dans toutes les villes de commerce : à Arles, à Ostie, ils forment cinq associations différentes; un des plus anciens souvenirs que nous ayons conservés de l’existence du vieux Paris, c’est un monument élevé par les nautes de la Seine. A Lyon, on distinguait les nautes du Rhône et ceux de la Saône, ils formaient deux corporations puissantes qui possédaient des comptoirs dans les villes voisines des deux rivières; les personnages les plus élevés de la cité étaient fiers de leur appartenir, et les habitans de Nîmes leur réservaient quarante places dans leur bel amphithéâtre. Auprès d’eux, il faut placer tous les collèges qui s’occupent des arts et des industries indispensables, les fabri tignarii ou charpentiers, chargés de tout ce qui concernait la construction des édifices, les marchands de bois (dendrophori), les fabricans de drap commun (centonarii), les marchands de vin, qui paraissent avoir été très estimés à Ostie, à Lyon et dans d’autres grandes villes, les boulangers (pistores), que Trajan organisa en société et auxquels il donna des privilèges particuliers. Toutes ces corporations entretenaient des rapports fréquens avec l’autorité, qui avait besoin d’elles pour assurer la prospérité matérielle de l’empire. Les césars s’en occupaient beaucoup, sachant que l’obéissance des peuples dépend souvent de leur bien-être, et ils ne négligèrent pas de récompenser les collèges qui les aidaient dans cette tâche. Claude encouragea le commerce maritime, pour lequel les sages de l’époque d’Auguste n’avaient que des insultes, et il traita très favorablement ceux qui s’y livraient. Il est probable que d’autres corporations furent aussi l’objet de faveurs semblables. Le pouvoir éprouva de plus en plus le besoin d’avoir recours à elles à mesure que l’alimentation de Rome et de l’empire devenait plus difficile par suite des malheurs publics. Tous les jours, il était forcé de leur demander davantage, et l’on sait qu’à la longue ses exigences n’eurent point de terme, et qu’il fit peser sur elles le plus lourd esclavage. Au moins essayait-il de les payer en les comblant d’immunités de toute sorte. Pour la première fois peut-être, les services que l’industrie et le commerce peuvent rendre au pays furent publiquement reconnus et inscrits dans la loi. C’était une grande victoire dans ces sociétés aristocratiques si dédaigneuses «des métiers vulgaires qui ne recherchent qu’un gain sordide, » et les grands seigneurs de l’époque républicaine auraient été sans doute fort scandalisés d’entendre Symmaque, le premier magistrat de Rome, dans une harangue solennelle, faire l’é-