Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chargée de préparer les voies à la mission allemande de la Prusse, a pu représenter depuis de longues années le clergé ultramontain comme l’armée d’un prince étranger, comme une puissance antinationale implantée dans l’état teutonique, en un mot comme l’élément romain, odieux aux Germains, et dont il faut à tout prix délivrer l’Allemagne. Si la France prétendait encore jouer le rôle de fille aînée de l’église, l’unification religieuse de l’Allemagne s’ensuivrait inévitablement. Tacite disait des Germains qu’ils soumettraient la terre, si les dieux n’avaient semé la discorde entre leurs tribus. Or c’est une vérité dont les conseillers de Napoléon auraient dû se pénétrer, que l’Allemagne n’a jamais été unie que dans la crainte de la France, et que son unité militaire était faite contre elle depuis longtemps : prétendre entraver son unité politique par une intervention armée, c’était l’accélérer. Avec un peu de clairvoyance, on n’aurait pas accepté le jeu de M. de Bismarck, qui ne pouvait trouver son empereur que sur les champs de bataille. Cette dernière idée s’est même fait jour en Allemagne, dans un recueil périodique, où on lisait récemment[1] : « Les événemens qui se sont accomplis se préparaient fatalement depuis dix ans. Les dispendieuses réorganisations de l’armée n’étaient entreprises qu’en vue de conquêtes : les nihilistes libéraux et les piétistes conservateurs étaient seuls à le nier. La guerre civile de 1866 n’était que l’aurore d’une nouvelle ère d’ambition dynastique. Tout ce qu’il est permis de dire, c’est que la ruse sur les bords de la Sprée a été supérieure aux finesses des bords de la Seine. Notre pauvre peuple allemand n’a point compris les leçons de 1813 à 1815 : il s’est précipité en France pour y combattre l’ennemi héréditaire de l’Allemagne, comme si au XIXe siècle il fallait chercher cet ennemi hors des frontières allemandes. On a acheté la Lorraine et l’Alsace avec le dernier reste de la liberté germanique. Nous n’avons plus maintenant qu’à subir un despotisme militaire inévitable... »

Malgré cette unanimité dans l’action, il convient de reconnaître que les Allemands du midi ne haïssent point la France comme ceux du nord, par voix de nature. Un des chefs les plus distingués du parti national en Bavière exprimait récemment des sentimens qu’il n’est pas rare de rencontrer dans le midi de l’Allemagne. « L’Europe, disait-il, ne saurait marcher sans la France ; il est à souhaiter qu’elle se relève promptement de ses ruines, qui sont plus son œuvre propre que le fait de la guerre. Son rôle est indispensable à celui de l’Allemagne, sinon comme puissance prépondérante, au moins comme puissance égale. »

  1. Zeitschrift fur die gesammte Theologie und Kirche, von Delizsch, 1871, 2e quartalheft.