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s’y exercent non plus dans des compétitions de consuls ou de tribuns, mais dans des compétitions d’évêques ; des tumultes populaires y répondent aux agitations des églises ; il y a autant de forums que de grandes métropoles dans l’empire, et les conciles sont le sénat du temps. C’est toujours la vie publique avec ses ardeurs, ses vertus, ses crimes, quoique le but et la formule en soient changés. Il y a encore ceci à ajouter, que le résultat de ces dernières luttes est encore debout, puisqu’il constitue le fondement de nos croyances.

La vie publique, car ce mot serait un non-sens, s’il ne signifiait un concours de passions, de volontés, d’efforts vers un but déterminé, la vie publique existait donc au Ve siècle, et l’on voit tout le monde y prendre part, empereurs et peuples, nobles et plébéiens, laïques et clercs. Retrancher de l’histoire de ce temps ce qui regarde les idées et les faits chrétiens, c’est véritablement en retrancher l’âme, et on ne l’a que trop fait à notre avis. Nous essaierons de la lui rendre dans une portion de nos récits, et nous nous occuperons d’abord de deux héros des guerres dogmatiques du Ve siècle, Nestorius et Eutychès, dont tout le monde sait les noms et peu de gens connaissent les aventures. L’histoire, appliquée à cet ordre de faits, a l’avantage de s’appuyer sur des documens certains, tels que les procès-verbaux des assemblées ecclésiastiques, les lettres qui s’y rattachent et la polémique qui précède ou suit les débats. C’est là surtout qu’on peut étudier à fond les personnages et apprécier le mérite de leurs œuvres. Toutes ces pièces ont été recueillies et publiées dans la précieuse et immense collection intitulée Actes des conciles. Quelle nation se présente devant l’histoire avec des titres plus complets que ceux-là ?


I

Nestorius, — Eutychès, ces deux noms agitèrent le monde romain au Ve siècle plus peut-être que ceux d’Alaric et d’Attila : Alaric et Attila ne menaçaient que la terre, les autres portaient leur menace jusqu’au ciel même, en ébranlant le christianisme dans son fondement principal, l’incarnation. Lorsque la vierge Marie mit au monde l’Homme-Dieu qui venait sauver le genre humain, engendra-t-elle l’homme ou le dieu ? et, si elle engendra l’un et l’autre, dans quel rapport les deux natures divine et humaine coexistèrent-elles en la personne de Jésus, son fils ? Telle est la question, formidable aux yeux de la foi, qui s’éleva tout à coup dans la première moitié du Ve siècle et suscita une guerre dont Nestorius et Eutychès furent les drapeaux.

Le concile œcuménique de Nicée, qui en 325 posa la grande assise de l’édifice catholique en définissant le dogme de la Trinité et