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évidemment partisan, tout révèle un désaccord profond qui devait tôt ou tard aboutir à un schisme, non pas avec l’église du Christ, mais avec celle de Rome.

Une religion tout extérieure, comme l’est celle des peuples du midi, de grossiers symboles, des cérémonies sensuelles, des pratiques matérielles et vides de foi, le culte des saints et l’idolâtrie des reliques, un christianisme où il n’était question que de pénitences corporelles, de mortifications, de jeunes, de vœux de chasteté, d’indulgences, de chapelets et de jubilés, un évangile dont le Christ avait disparu avec le Père céleste, et à la place desquels on ne voyait plus que la Vierge, les saints, le pape et les prêtres, voilà ce que les Germains considéraient comme un pur paganisme. Jacob Grimm[1] remarque que le paganisme, vaincu par le christianisme, avait dans le cours des temps apporté dans l’église de nouveaux élémens païens : c’est de ces élémens que la réforme s’efforça de la purifier. Et qu’on ne dise pas que les autres nations chrétiennes n’avaient pas attendu l’Allemagne pour reconnaître la nécessité d’une réforme radicale de l’église ; qu’on ne nous cite ni les conciles réformateurs du XVe siècle, ni les noms fameux des Pierre d’Ailly, des Gerson, des Nicolas de Clémengis : la voix de ces grands hommes se perdit dans le désert comme celle des pères de Pise, de Constance et de Bâle. La France seule aurait pu modifier l’état du monde chrétien, si une réforme quelconque avait été possible. Notre pays n’a jamais manqué de grandes individualités religieuses, mais la masse de la nation est indifférente aux choses de la foi. En somme, elle n’a presque pas de besoins religieux ; puis, le catholicisme romain étant un principe, c’est-à-dire quelque chose d’abstrait et de supérieur aux faits, il était nécessaire qu’il épuisât avec une irrésistible puissance toutes les conséquences de sa nature. On endigue un fleuve, on ne peut ni changer, ni anéantir la conclusion d’un syllogisme. Cette conclusion, ce terme ultime et suprême de la série logique, notre siècle l’a entendu proclamer naguère dans cette ville éternelle qui était alors encore la Rome des papes. Si les compatriotes de Döllinger n’ont point attendu jusqu’à ce jour pour protester, c’est qu’au XVIe siècle il y avait longtemps déjà qu’ils supportaient en frémissant le joug de l’obéissance que Rome prétendait leur imposer, et qu’ils repoussaient du fond de l’âme toutes les pratiques d’une dévotion mesquine et superficielle. Doublement atteints dans leurs besoins d’indépendance spirituelle et dans leurs instincts moraux et religieux les plus intimes, les peuples de la famille teutonique désiraient ardemment la venue d’un nouvel Hermann, sorte de messie héroïque et doux, apôtre puissant par la doctrine, la parole et la

  1. Deutsche Mythologie, Vorrede, XLV-XLVI.