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parce qu’il mérite vraiment l’admiration. » Ce qu’appréciait surtout ce juge éclairé, c’était la perfection des vers et une connaissance approfondie de la métrique, « dans laquelle, ajoute-t-il, je ne crois pas qu’on l’ait surpassée. » Elle savait aussi mêler à l’élégance de la versification une certaine originalité qui faisait son cachet. « On la reconnaît pour l’auteur de ceci, dit encore Photius en parlant d’une de ses principales compositions, comme on reconnaît une mère aux traits de ses enfans. » Telle était l’estime que la critique professait pour le talent d’Eudocie à une époque où les lettres n’étaient pas encore éteintes en Grèce. Les fragmens qui nous restent d’un seul de ses ouvrages ne nous permettent assurément pas de pouvoir confirmer ou infirmer d’une manière absolue l’opinion de Photius ; toutefois on peut dire, après les avoir lus, que le style en est élégant, la versification facile, la langue d’une grande pureté, comme on devait l’attendre d’une Athénienne même au Ve siècle.

Les premiers ouvrages chrétiens sortis de sa plume furent des paraphrases de l’Écriture sainte. Elle composa sous le titre d’Octateuque ou les Huit livres un poème qui renfermait les huit premiers livres de la Bible, à commencer par la Genèse et à finir par la pastorale de Ruth. Les prophéties de Zacharie et de Daniel parurent ensuite sous la même forme du vers héroïque. — Photius faisait grand cas de ce travail, lui aussi versé dans la littérature profane que dans l’étude de l’Ancien-Testament. Il admirait dans l’interprétation poétique d’Eudocie non-seulement la beauté des vers, à laquelle il tenait beaucoup, mais ce mérite particulier, auquel il ne tenait pas moins : c’est que le poète, respectueux pour la simplicité austère des livres saints, ne l’avait altérée ni par des développemens étrangers ni par les fantaisies de l’imagination. Pour qu’on ne se trompât point sur son auteur, l’Octateuque se terminait par le distique suivant : « ces vers, tirés de la loi sainte, ont été composés par moi, Eudocie, impératrice, issue de l’illustre race de Léontius. »

De tous les ouvrages d’Eudocie, celui auquel Photius attachait le plus de prix, car il nous en donne une analyse très étendue, était un poème en trois livres sur les amours de saint Cyprien et de sainte Justine, et leur commun martyre à Nicomédie pendant la persécution de Dioclétien. Le Cyprien dont il s’agit ici n’est pas l’austère docteur, évêque de Carthage, qui d’ailleurs fut martyrisé sous Valérien, quoique Grégoire de Nazianze et le poète Prudence les aient confondus à une époque où les faits chrétiens étaient généralement peu connus d’une moitié à l’autre du vaste empire romain. Celui-ci était un sénateur d’Antioche, magicien fameux et faisant servir les secrets de son art à commettre toutes les débauches et tous les crimes, puis amené au christianisme par sa passion pour une vierge