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par une prompte et franche répartie, ne lui permit pas d’avoir l’air de se faire illusion à cet égard. M. de Metternich n’insista point.

Un incident inattendu vint interrompre cette politique exemplaire en fait de respect pour le droit des gens comme de patriotisme, et jeter le trouble dans notre cabinet. Les États-Unis d’Amérique étaient depuis 1810 en vive réclamation à raison d’un grand nombre de navires américains saisis ou détruits en vertu des décrets rendus à Berlin et à Milan en 1806 et 1807 pour établir le blocus continental. En 1812, l’empereur Napoléon avait offert une indemnité de 18 millions, que le gouvernement américain refusa comme insuffisante. Le 4 juillet 1831, sous le ministère de M. Casimir Perier, un traité signé par le général Sébastiani, alors ministre des affaires étrangères, réglait à 25 millions l’indemnité due aux Américains en prélevant sur cette somme 1,500,000 francs pour satisfaire à diverses réclamations de Français sur les États-Unis, et moyennant d’assez notables avantages conférés pour dix ans par les États-Unis aux vins de France. Peu après la formation du cabinet du 11 octobre 1832, un projet de loi fut proposé par le ministre des finances, M. Humann, pour l’exécution de ce traité. Le rapport en fut fait à la chambre des députés le 10 mars 1834, et la commission, à l’unanimité, en proposa l’adoption. Le débat fut, non pas violent, il n’y avait nul prétexte à la violence, mais minutieusement acharné. Évidemment les diverses oppositions, M. Berryer comme M. Bignon, avaient conçu l’espoir de faire essuyer à cette occasion un échec au cabinet. En vain le duc de Broglie, M. Duchâtel, M. de Lamartine, démontrèrent péremptoirement l’équité morale et la sagesse politique d’une transaction qui mettait fin, entre les deux pays, à une vieille querelle de jour en jour plus envenimée ; en vain M. George de Lafayette, membre de la commission, vint déclarer que, dans sa conviction, il était dû aux États-Unis plus que le projet de loi ne leur accordait, la discussion était surchargée de détails et de chiffres où la chambre ne voyait pas clair : elle n’était pas bien avertie du péril, le projet de loi fut rejeté à une majorité de huit voix. Le duc de Broglie, aussi fier que peu ambitieux, ne voulut pas accepter un échec si personnel et alla sur-le-champ porter au roi sa démission. Le général Sébastiani, qui était rentré dans le conseil comme ministre sans portefeuille, précisément à l’appui du traité qu’il avait signé sous M. Casimir Perier, en fit autant. Une brèche grave fut ainsi ouverte dans le cabinet.

Je ne me retirai point avec eux à cette occasion, un peu parce que la question dans laquelle ils avaient échoué était tout à fait étrangère à la politique générale que le cabinet s’était chargé de soutenir,