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susceptibles d’être plus ou moins désignées par ce terme, et qu’il ce serait pas toujours plus facile de classer que de taxer entre les mains où elles se rencontrent. Populaires au début, ces taxes systématiques aboutiraient à une immense impopularité. Mieux vaudrait à coup sûr rester un peu au-dessous de la matière imposable en ce genre que de prétendre l’embrasser tout entière en risquant, à force de logique, de dépasser le but. Malheureusement il y a aujourd’hui un si grand nombre de personnes qui se piquent de logique qu’il faut s’en défier. Seule, la morale inspire plus de prétentions. Il y a eu déjà tant de manières de tuer les gens au nom de la morale et de la logique ; au nom du ciel, n’y joignons pas l’impôt ! Les confiscations révolutionnaires ne font qu’un mal momentané ; une hypocrisie légale qui dirigerait contre la richesse l’égalité et la fraternité aboutirait à l’épuisement des ressources publiques et privées.

La désignation d’impôts somptuaires écartée, il faut la remplacer par une autre plus exacte. M. de Parieu, dans un savant traité, s’est servi pour désigner ce genre de taxes du nom d’impôts sur les jouissances, parmi lesquels se placent aussi les taxes sur les portes, les fenêtres, les cheminées, c’est-à-dire sur des objets de nécessité. Il y aurait lieu de mieux marquer la distinction, ce que fait imparfaitement, selon moi, la désignation d’impôts sur le luxe, le mot de luxe ayant le tort de rappeler des objets qui se caractérisent par leur valeur exceptionnelle et par l’éclat extérieur, par conséquent de s’appliquer fort mal à des choses comme le tabac ou les liqueurs. Le terme de jouissances ou consommations de luxe ne présente pas le même inconvénient, et s’attache, indépendamment de toute idée nécessaire de magnificence, à tous les usages plus ou moins superflus, à des habitudes vulgaires aussi bien qu’à des raffinemens recherchés, à des consommations usitées dans les classes ouvrières comme à celles dont la classe riche a le privilège. C’est au fond l’impôt sur les choses dont à la rigueur il serait possible de se passer.

Je prévois une objection. On me dira que la démocratie ne paraît pas si avide que j’ai eu l’air de le supposer d’établir des impôts somptuaires ; M. Proudhon va même jusqu’à en faire la critique. L’auteur du Système des contradictions économiques s’exprime sur ce sujet comme le ferait un économiste conservateur. Je ne m’en étonne aucunement. On peut renoncer à déclarer la guerre au luxe sous son nom lorsqu’on abolit la propriété, et qu’on proclame l’égalité des salaires. L’impôt serait une machine bien faible quand on dispose de moyens tout autrement radicaux pour atteindre un but tout autrement étendu. A quoi sert-il d’ailleurs de parler avec