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chef de l’armée du Rhin ne voulait plus se battre ; du 1er au 23 septembre, il avait attendu ; à partir de cette date, il négociait. Tout le monde comprit depuis qu’à la première nouvelle du désastre de Sedan et de la proclamation de la république il n’avait cherché qu’à gagner du temps, à se réserver pour le grand rôle qu’il entrevoyait et qu’il croyait prochain. Sans se douter que la France, émue par tant de revers, se préparait à une guerre nationale, que Paris menacé organisait la résistance, il se désintéressa de la lutte au moment même où la nation s’y engageait. Il crut qu’on n’essaierait même pas de se défendre, que Paris, mal armé, mal approvisionné, ouvrirait ses portes, et que le combat finirait faute de combattans. Quelles forces organisées restait-il en effet à la nation ? Il avait fallu drainer le pays pour en faire sortir les 100,000 combattans dont le maréchal de Mac-Mahon avait pris le commandement. Cette armée détruite, il n’y avait plus d’autre armée que l’armée de Metz, la seule qui eût tenu tête aux Prussiens et remporté sur eux quelques avantages. Si la Prusse ne reconnaissait pas la république, comme beaucoup d’indices le faisaient supposer, si cependant elle était pressée de conclure la paix pour recueillir les fruits de sa victoire, elle ne trouvait en face d’elle qu’un seul pouvoir resté debout, celui du maréchal Bazaine. Elle lui offrirait sans doute de s’entendre avec lui pour l’ouverture des négociations, peut-être aussi pour le rétablissement de l’empire et la reconstitution d’un gouvernement régulier. La force des choses créerait ainsi au commandant en chef de l’armée du Rhin une grande situation politique. La plus grande de toutes ne lui était-elle pas réservée ? En présence d’un empereur prisonnier, d’une régente étrangère, d’un prince enfant, d’une république en désarroi, la France affamée d’ordre et de repos ne serait-elle pas tentée de confier ses destinées à un soldat heureux, au seul général qui eût sauvé son armée et gardé quelque chose de notre ancien prestige militaire ? On a dit que la possibilité d’une régence se présentait alors à l’esprit du maréchal. Les témoins de ses ambitions passées, ses compagnons d’armes du Mexique, accueillaient sans incrédulité cette vague rumeur.

En tout cas, il se réservait, il entendait garder son armée intacte, et ne compromettre dans aucune aventure ce puissant moyen d’action qu’il tenait entre ses mains. De là son éloignement pour les opérations militaires, pour les entreprises hardies qui eussent exposé à la fois ses troupes et sa renommée. Un échec sérieux eût mis à néant toutes ses espérances. Il attendait donc de jour en jour, dans une impardonnable inaction, qu’on lui proposât un arrangement dont il débattrait les conditions entre la Prusse et la France ; il allait même au-devant des ouvertures en faisant demander dès