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ces deux partis ; plus juste appréciateur des ressources de sa patrie, il voulait s’en tenir à la lettre des traités et vivre en bonne intelligence avec les étrangers. Son avis prévalut : il fut convenu que satisfaction serait donnée au représentant de la France, toutefois avec les réticences et les lenteurs qui font tout le succès de la diplomatie chinoise. Ce fut à la suite de cette résolution que Tseng-kou-fan reçut l’ordre de faire une enquête sur les événemens du 21 juin, et que Tchoung-hou fut nommé ambassadeur près la cour des Tuileries. Deux des principaux auteurs du massacre se trouvaient donc chargés de punir les coupables. Quant au troisième, Chen-kou-jui, l’homme d’action, il était bien connu dans la population indigène que l’empereur l’avait reçu depuis lors en audience particulière.

Avec des gens tels que sont les Chinois, la justice n’est effective qu’à la condition d’être prompte; il faut que le châtiment suive de près la faute. Tseng ne manifesta nul empressement à s’acquitter de la mission dont on l’avait chargé. Son arrivée à Tien-tsin fut ajournée sous prétexte de maladie; puis, quand il y vint, l’un de ses premiers actes fut de révoquer les magistrats municipaux dont la connivence était par trop évidente. Il fit en outre arrêter quelques-uns des plus infimes acteurs du complot; mais par compensation il retenait en prison plusieurs chrétiens indigènes, qui ne furent rendus à la liberté qu’après avoir été torturés, sous prétexte de leur faire avouer leur participation aux crimes des missionnaires catholiques. Cela fait, Tseng-kou-fan attendit patiemment que les réclamations du chargé d’affaires de France eussent le temps de s’affirmer. On ne peut douter que M. de Rochechouart fût dans une extrême perplexité, puisqu’il lui fallait trois mois au moins pour recevoir des instructions écrites de son gouvernement. Par bonheur, l’opinion publique des Européens le soutenait, et lui conseillait une conduite vigoureuse. Une feuille périodique estimée dans ces parages lointains, le North China Herald, dressait ainsi qu’il suit le bilan des réparations à exiger de l’autorité impériale : dégrader les principaux mandarins et les mettre à mort, dégrader les autres mandarins de la localité et les exclure de toute fonction publique, inscrire sur le lieu du crime une tablette commémorative, faire payer par la ville une forte indemnité et le prix de la reconstruction des bâtimens incendiés, priver la ville de Tien-tsin pendant vingt ans du droit d’envoyer des candidats aux examens provinciaux, enfin occuper les forts du Takou, ou les raser entièrement. Les deux paragraphes les plus importans de ce programme étaient la mise à mort des mandarins compromis dans l’affaire et l’interdiction aux candidats locaux de se présenter aux examens, car cela atteignait la classe des lettrés, qui était notoirement la plus hostile aux étrangers.