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LA REVANCHE DE JOSEPH NOIREL.

Mlle Grillet, la maison fut illuminée de haut en bas, et la terrasse éclairée a giorno par des transparens et des pois à feu.

Mon-Plaisir était une connaissance nouvelle pour Marguerite ; il avait été acheté pendant son absence. On lui avait donné la plus jolie chambre, décorée et meublée comme on peut croire. Ce n’étaient qu’astragales et festons, des guéridons de palissandre et une table en marqueterie, un tapis de Perse, des rideaux en cachemire blanc, des bibelots et des fleurs partout. Marguerite était amoureuse de sa chambrette. Elle y passait des heures toute seule, allant et venant de son pas d’oiseau, faisant leur toilette à ses jardinières, entr’ouvrant un livre et interrompant sa lecture au milieu d’une phrase, ou s’accoudant à sa fenêtre et contemplant d’un œil épanoui le verger, la route, les collines, le Jura, heureuse de vivre, de respirer et de n’avoir pas vingt ans, ignorant l’ennui, le printemps aux joues, le cœur plein de cette gaîté légère qui se suffit à elle-même et se passe de l’espérance. La cloche du déjeuner sonnait. Elle descendait à la salle k manger ; elle disait à la tante Amaranthe en l’embrassant : — Eh bien ! c’est donc si beau que cela le Mecklembourg ? — ou, prenant la cousine Grillet par la taille, elle l’entraînait au jardin en disant : — Allons voir comment se portent nos rosiers. — Chemin faisant, elle cueillait une Heur qu’elle posait dans ses cheveux. En rentrant, elle se mettait au piano, jouait une barcarolle ou chantait à pleine voix une romance d’amour, tout entière à la musique et ne se souciant guère des paroles, qu’elle croyait comprendre et qui étaient pour elle de l’hébreu. Le soir, elle brodait, contait des histoires de pension, ou bien, se pelotonnant dans un fauteuil, elle se laissait faire un doigt de cour par l’oncle Benjamin, quand il était là, et riait comme une folle à ses galanteries de madrigal. On se séparait à dix heures. Elle remontait dans sa chambre, et il lui arrivait quelquefois d’ouvrir sa fenêtre pour regarder la lune ; mais il ne se passait rien entre elles de particulier ni d’intime, elles n’avaient pas grand’chose à se dire. À demi déshabillée, elle s’agenouillait, et, la tête appuyée contre sa jardinière, elle faisait son oraison mentale, qui se réduisait à dire au bon Dieu : — Tu es bon et tu es sage, tu sais ce qu’il me faut ; mais, si c’est possible, que chacun de mes jours ressemble à celui-ci. — Après quoi elle s’endormait d’un somme profond, tranquille et sans rêves, heureuse le matin en ouvrant les yeux de découvrir qu’il y avait un soleil et que la vie était là, debout à son chevet, qui l’attendait.

On croira sans peine que les pensées de Mme Mirion allaient plus vite et plus loin que celles de Marguerite. Sa vanité maternelle se préoccupait de l’avenir, et dans ses oraisons mentales elle n’avait