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tans dont l’honneur revient à ces diètes, il n’en est pas de plus fameux que celui qui en 1812 créa la landwehr. La première idée de ce système militaire vient non pas du gouvernement prussien, mais des états provinciaux de la Prusse, et l’on peut voir par cet exemple que l’indépendance provinciale n’est pas un danger pour l’unité et ne paralyse pas le patriotisme. Elle fut une ressource précieuse dans ces jours de crise où le pouvoir central s’effaçait et se cachait dans l’humiliation; la Prusse lui a dû son salut.

La commune prussienne a plus d’indépendance encore que n’en a la province. Elle forme un petit état libre; elle élit son conseil communal, qui nomme le maire et l’adjoint. Ce conseil se réunit sans qu’il soit nécessaire que l’autorité l’ait convoqué. Il vote son budget, nomme les employés communaux, et a la direction souveraine de ses écoles, de ses établissemens de bienfaisance, de sa police. Sauf certains cas prévus, il n’a pas besoin de solliciter l’approbation de l’autorité. Ses actes ne peuvent être annulés que s’ils sont contraires aux lois. Ces communes prussiennes, qui jouissent de tant d’indépendance, ne paraissent pas en faire un mauvais usage. Maîtresses d’elles-mêmes et exemptes de tutelle, elles s’entendent assez bien à gérer leurs intérêts. Elles administrent sagement leurs propriétés et règlent avec bon sens leurs affaires. La liberté communale, loin d’être un embarras en Prusse, est un gage de sécurité, de prospérité et d’ordre public. C’est peut-être elle aussi qui fait supporter la monarchie. Supposez cette monarchie prussienne aux allures si raides s’immisçant dans toutes les affaires locales, il n’y a pas de race d’hommes qui la pourrait tolérer; mais elle borne son action aux affaires d’intérêt général, elle ne pèse pas sur les intérêts locaux, elle laisse la plus grande partie de l’existence humaine à l’abri de sa réglementation et de son despotisme : il n’en faut pas davantage pour qu’on se résigne à elle, pour qu’on la laisse vivre, qu’on la respecte. En France, tous les mécontentemens et tous les désirs d’innovation se portent en un seul faisceau contre le pouvoir central, et le renversent tous les quinze ou vingt ans; en Prusse, une grande partie des mécontentemens comme des affections, des rancunes comme des espérances, reste dans le cercle étroit de la commune ou de la province, et il n’en arrive qu’une faible partie, même aux jours de crise, jusqu’au pouvoir central.

La Russie est, dans l’opinion générale des Français, le type le plus achevé du despotisme. Nous nous représentons le tsar comme un maître omnipotent qui tient dans ses mains la liberté, la fortune, la vie de chacun de ses sujets, et nous plaignons ce troupeau d’esclaves que nous nous figurons courbés devant lui. Lisons le chapitre, trop court peut-être, que M. Hesse a consacré à la Russie, et nous ne serons plus tout