Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’océan éocène, et avant l’océan éocène celui de la craie avait occupé à peu près les mêmes régions : il avait aussi renfermé des populations innombrables de foraminifères, mais d’un aspect et dans des conditions bien différentes, puisque les roches nummulitiques affectent des teintes variées et surtout le gris jaunâtre, tandis que les vases à foraminifères qui ont donné lieu à la craie étaient d’un blanc laiteux dont rien n’altère la pureté. Avant d’avoir eu la pensée de soumettre la craie à l’examen microscopique, on se perdait en conjectures touchant l’origine et la vraie nature de cette substance à la fois pulvérulente et onctueuse au toucher, susceptible pourtant d’acquérir une certaine cohésion, parfois d’être taillée et polie; comment les débris triturés des coraux et des mollusques seulement avaient-ils pu subir l’action des vagues en mouvement, être réduits à l’état de résidus impalpables et devenir une bouillie homogène sans qu’aucun élément étranger fût venu s’y mêler? Ces singularités et bien d’autres sont tombées dès que l’étude des foraminifères actuels, inaugurée par M. Alcide d’Orbigny, eût conduit à les retrouver dans les anciens dépôts. Dès lors plus d’étonnement à concevoir sur le mode de formation de la craie, engendrée autrefois sous des eaux calmes et profondes et due au développement d’une multitude de foraminifères, surtout de globigèrines. Ce dernier genre, dont la coquille est formée, ainsi que l’annonce le mot lui-même, de plusieurs loges sphériques, vit encore dans les mers actuelles; mais on était loin de supposer, avant les dernières découvertes, que l’on retrouverait de nos jours la craie elle-même en voie de dépôt, et accompagnée des mêmes formes animales qui la caractérisaient autrefois.

Les boues à globigérines qui occupent une grande partie du fond de l’Atlantique, et paraissent en relation avec le gulf-stream, ne diffèrent en rien de la craie. C’est la même nature de sédiment et aussi la même apparence, celle d’une bouillie laiteuse, comparée par M. W. King à de la laitance de poisson. Ces boues ont été retirées en grande abondance, en même temps que des mollusques, des échinides et des radiaires très ressemblans aux espèces fossiles de la craie, d’une profondeur de 767 brasses. La liaison paraît tellement évidente à M. W. Carpenter, qu’il n’hésite pas à reconnaître dans les espèces des boues à globigérines la descendance directe de celles de la craie. Selon lui, à l’émersion des anciens dépôts crétacés européens aurait sans doute correspondu l’affaissement d’une partie de l’Atlantique, et les mêmes animaux n’auraient eu qu’à se réfugier dans le nouveau bassin pour y continuer leur existence et y demeurer associés à peu près dans les mêmes proportions. Aux yeux des géologues, et ce sont maintenant les plus nombreux, pour