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(200,000 fr.). Quant au peuple, il voyait dans l’établissement du nouveau culte l’assurance de la prospérité publique, le gage du bonheur et de la gloire de Rome. Comme un besoin étrange de réforme et de rénovation travaillait alors le monde, il semblait que César, devenu dieu, allait amener des temps nouveaux, et que le règne de la justice et de la paix daterait de son apothéose. Virgile, qui puise si souvent ses inspirations dans les sentimens populaires, s’est fait l’écho de ces espérances confuses. Dans une églogue écrite au milieu de ces fêtes, et qui en porte l’impression, il chante l’apothéose du berger Daphnis ; il le montre « admirant les palais nouveaux pour lui de l’Olympe, et regardant sous ses pieds les nuages et les étoiles. » La joie est générale sur la terre, et la nature elle-même y prend part. « Le loup ne tend plus d’embûches au troupeau, le cerf n’a plus rien à craindre du filet ; les montagnes même jettent des cris d’allégresse ; les rochers, les arbres disent : c’est un dieu, oui, c’est un dieu ! » Et il ajoute avec un accent profond de respect et d’amour : sis bonus o felixque tuis ! On sent bien que ces vers sont nés de l’émotion publique : ils reproduisent les impressions et les sentimens de la foule. Ce ne sont donc pas les sénateurs, malgré leurs flatteries empressées, qui ont fondé le culte de César. Tous ces décrets mensongers, prodigués de son vivant avec tant de complaisance, auraient disparu avec lui. C’est le peuple qui les a fait vivre ; c’est lui qui leur a donné une sanction nouvelle et définitive. Il ne faut pas l’oublier, et l’on doit rendre à chacun la responsabilité qui lui revient : la première fois que l’apothéose impériale s’est produite à Rome, elle est sortie d’une explosion d’admiration et de reconnaissance populaire.


III.

L’effet produit par l’apothéose de César fut très grand ; il donna aux ambitieux qui se disputaient son héritage la pensée de réclamer aussi pour eux les honneurs divins. Sextus Pompée, après les victoires maritimes qu’il avait remportées sur Octave, se déclara fils de Neptune : il en prit le nom sur ses monnaies ; il se mit à porter des vêtemens de couleur azurée en souvenir de son origine, et, pour honorer le dieu des mers, son père, il jeta dans le détroit de Sicile des bœufs, des chevaux et même, dit-on, des hommes. Antoine voulut être Bacchus ; il fit proclamer par un héraut dans toute la Grèce que telle était sa volonté, et la Grèce se montra très complaisante pour cette fantaisie. A Éphèse, les femmes allèrent au-devant de lui, habillées en bacchantes, les hommes et les enfans en faunes et en satyres. « À Athènes, dit un historien du temps, on