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cachetés ? Les internés étaient entrés pêle-mêle, sans distinction de corps ; impossible de deviner quel était celui des cent soixante quinze dépôts où se trouvait le destinataire. Le bureau fit imprimer avec le plus grand soin des listes de suscriptions insuffisantes ; ces listes donnaient des colonnes de noms à côté desquels, sur une colonne blanche, les autorités militaires étaient priées d’écrire, quand elles le savaient, le dépôt où l’on avait interné tel ou tel. Travail considérable et minutieux, peut-être excessif aux yeux des indifférens ; mais songe-t-on bien à ce que peut contenir une feuille de papier mise à la poste ? Parfois des secours urgens, attendus avec angoisse, et toujours au moins des nouvelles, des consolations, une bouffée de l’air du pays, une preuve qu’on n’est plus seul.

Il est vrai que les autorités furent secondées par tout le monde, et d’abord par les internés eux-mêmes. Presque partout (sauf un soir à Zurich, et l’on sait que ce ne fut pas leur faute), ils se montrèrent doux et bons, reconnaissans, pacifiques ; le conseil fédéral « s’est fait un devoir, » dans une lettre adressée au général Clinchant, « de rendre hommage à la bonne conduite qui n’a cessé de régner parmi les officiers et les soldats de la première armée française pendant son internement en Suisse, et qui a largement contribué à faciliter la tâche du gouvernement fédéral et des gouvernemens cantonaux. » Lors de l’incendie de Morges, où une explosion de cartouches et d’obus incendia une partie du château et mit la ville en péril, les internés, qui perdirent une vingtaine d’hommes dans la catastrophe, se mirent aux pompes avec une vaillante ardeur. Les officiers français consignés à Interlaken, et il y eut beaucoup d’autres souscriptions pareilles, envoyèrent une somme de 1,554 francs pour secourir les Suisses enfermés dans Paris. Rien de plus curieux que le camp de Wylerfeld, à une demi-heure de Berne, en face des Alpes. Là, nos internés, couchant dans des baraques où ils n’avaient plus froid, partageaient leur soupe et leur viande avec les marmots du pays, qui s’invitaient cordialement à leur table ; ils étaient 1,500, gardes par une vingtaine de Bernois. La confédération fut donc aidée par la soumission des nôtres ; elle le fut encore avec un zèle infatigable par te dévoûment des siens. Au premier bruit de guerre, les Suisses de Rome, d’Allemagne, même ceux d’Amérique, écrivirent qu’ils accourraient en cas de danger au premier appel. Toutes les caisses, les moindres bourses s’ouvrirent ; le pays avait besoin d’argent pour nourrir les internés et les troupes qui les gardaient. On lui en offrit de partout ; il demanda 15 millions, on en souscrivit plus de 100 (106,126,500 fr.). Outre l’argent, il eut les milices, qui, à défaut d’armée permanente, doivent prendre les armes et accepter le rude métier du soldat. Ces 40,000 citoyens, pour la plupart hommes de travail, quittèrent