Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les boulets, mais de belle apparence, La réception du général répondit pleinement au ton de sa lettre ; il nous accorda toutes les facilités possibles, et s’entretint avec nous, avec le maire et avec le préfet, qui fut appelé, sur l’excellente attitude, le dévoûment des habitans, leur immuable attachement à la patrie. Le général Uhrich ne nous adressa pas de questions ; en revanche, l’amiral Excelmans, qui était là, tenait fort à savoir ce qui se passait dans le monde. Chose étrange ! on soupçonnait à peine dans la place forte les revers de la France, on doutait de la catastrophe de Sedan, on ne voulait pas croire aux dépêches transmises par les assiégeans, on rêvait des victoires françaises, on attendait une armée de secours ! Loin de chercher, comme on l’en accusait, à maintenir ces illusions chez les assiégés, le général nous laissa circuler partout librement et causer avec tout le monde. Nous pûmes voir la cathédrale ; quelques débris gisent sur le sol. Un boulet a endommagé la lanterne, plusieurs autres ont percé les vitraux. La toiture de la nef a été brûlée ; mais les voûtes sont intactes, l’horloge subsiste, seulement on ne la remonte plus. Les portes étaient closes, et ce ne fut pas sans peine qu’on nous permit d’entrer dans l’intérieur. Un prêtre officiait dans une chapelle latérale ; il n’y avait dans l’immense église que lui et nous… »

Suivent quelques détails sur les succès du bombardement, l’incendie de la bibliothèque, du gymnase, du théâtre, du temple neuf, etc. Tous ces désastres ne sont que trop connus[1]. Il va sans dire que la présence des délégués n’interrompit point l’attaque ; ils entendirent siffler, éclater plus d’un projectile allemand. À quatre heures, ils rentrèrent à la mairie, d’où un parlementaire les reconduisit aux portes de la ville. Le général de Werder se montra d’assez bonne composition. Il mit au service des délégués une cinquantaine de chars pour chaque colonne d’émigrans ; ces chars devaient les conduire au pont de bateaux de la Rheingau, et d’autres voitures les mener au chemin de fer badois sur lequel ils seraient expédiés gratuitement à Bâle.

Les délégués réglèrent avec les Allemands la sortie, tout en fumant avec eux des requirados ; on nommait ainsi les cigares de réquisition. Il fut convenu que le jeudi 15 septembre, à dix heures, 500 Strasbourgeois seraient attendus avec des chars à la porte d’Austerlitz. Pour préparer ce convoi, les membres de la députation eurent beaucoup à courir par des chemins difficiles que traversaient les boulets et les obus, dans des nuits sombres qu’illuminait seulement l’incendie de Strasbourg. Par bonheur, les populations étaient pour eux, notamment celle de Lahr, qui fit merveille. Enfin arriva le

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1870, l’Invasion allemande en Alsace, par M. A. Mézières.