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armées, et ils professent pour cette institution le plus profond respect. La Prusse présente ainsi ce spectacle singulier d’un pays de mœurs féodales où personne ne se montre plus ardent que l’aristocratie et le clergé pour ce qu’on nomme le progrès des lumières, et affecte en même temps plus de fierté.

Les raisons qui ont fait le succès de l’instruction obligatoire en Prusse expliquent comment elle s’est établie dans les autres états allemands. Les gouvernemens ont été frappés des énergiques moyens d’action que la monarchie des Hohenzollern s’était assurés par cette institution ; ils ont tenu à l’appliquer chez eux, et ils y ont trouvé le terrain presque aussi bien préparé. Le peuple allemand est pauvre d’idées, curieux en même temps et très appliqué ; il est surtout, comme l’a dit Mme de Staël, « très capable de cette fixité en toutes choses qui est une excellente donnée pour la morale. » La race allemande est foncièrement hiérarchique. Le maître d’école n’est pas, comme chez nous, un employé subalterne, scribe du maire, factotum du curé, gagiste de la commune, le plus bas placé dans l’échelle des fonctionnaires, et qui vend à bas prix aux fils de paysans une marchandise qui ne se cote pas ; c’est un petit personnage dans le village allemand : il apprend à lire les livres saints, qui font le salut dans l’autre monde, il distribue dans celui-ci la manne précieuse qui améliore la vie et permet dans l’armée d’adoucir la rigueur du devoir soit en ouvrant la porte des emplois civils, soit même en abrégeant la durée du service ; il tient l’orgue et dirige le chant à l’église ; il enseigne la musique, qui est presque une institution nationale et fait le seul charme de ces rudes existences. Comme la vie est plus aisée, comme les mœurs sont plus simples, il tient un meilleur rang avec ses maigres appointemens ; enfin, et par-dessus tout, il est un représentant du pouvoir, un agent politique, celui qui apprend comment un bon sujet doit aimer son prince, haïr l’étranger, travailler pour sa part à la gloire de la patrie.

Toute l’organisation scolaire tend à ce résultat ; tout a été mis en œuvre pour l’obtenir. La Prusse se donnant volontiers pour le type de l’état moderne allemand[1], les gouvernemens vassaux l’ayant acceptée pour telle et s’efforçant de se modeler sur elle, nous nous en tiendrons à son exemple. C’est là du reste que l’action de l’enseignement obligatoire a été le mieux marquée, et qu’elle est le plus facile à suivre. Dieu, le roi, la Prusse et l’Allemagne sont dans l’esprit du Prussien quatre idées connexes ; l’une ne peut naître

  1. Le paradoxe n’est pas nouveau ; c’était un des plus irritans sophismes de Hegel. Selon lui, dans le grand processus de l’Idée à la poursuite de sa propre affirmation, la monarchie prussienne représentait la réalisation de l’Absolu dans l’état.