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gloire des plus honteuses violences ? Cette nation armée semblait tenir à honneur de rappeler sur certains points les hordes de Wallenstein. À quoi lui a servi cette instruction vantée, sinon à dévaliser avec plus d’ordre nos maisons envahies, à incendier avec plus de méthode, à bombarder plus sûrement nos villes ouvertes ? Il semblait que leur insupportable prétention à civiliser la guerre rendait plus odieuses encore ces barbaries renouvelées d’un autre âge. On les a comparés à des Vandales élevés à l’École polytechnique. L’expression était heureuse ; mais ce n’était qu’un mot, et les Vandales, qui détruisaient les églises, ne se préoccupaient pas de forcer leurs enfans à se rendre à l’école. Leurs méthodes d’enseignement étaient rudimentaires, et l’on n’a jamais songé à les proposer en exemple au monde. Il y a là pourtant une difficulté que l’on ne peut esquiver, une contradiction qu’il importe de résoudre. Ce peuple si instruit et cette armée si barbare sont une seule et même chose ; on ne peut séparer l’un de l’autre. Il faut donc se rendre compte de ce qu’est l’instruction en Allemagne, comment elle s’y est établie, comment elle s’y est développée, quel rôle elle y joue, et ce qui fait que la même institution a pu être un si admirable instrument de puissance militaire et un si pauvre agent de civilisation. C’est ce nœud même de la question qui nous occupe. Dès son établissement en Prusse, l’instruction obligatoire a pris le double caractère qu’elle a conservé jusqu’à ce jour, celui d’un système d’éducation politique où domine l’influence religieuse. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire le Règlement général des écoles de 1763 ; la raison d’état y perce à chaque ligne. Ce règlement est l’œuvre de Frédéric II, qui n’était pas suspect de faiblesses mystiques, ni de « cléricalisme. » L’instruction religieuse est placée au premier rang ; les consistoires et les pasteurs ont la surveillance et l’inspection des écoles. « Les enfans ne pourront quitter l’école non-seulement avant d’être instruits des principes essentiels du christianisme et de savoir bien lire et bien écrire, mais encore avant d’être en état de répondre aux questions qui leur seront adressées d’après les livres d’enseignement approuvés par nos consistoires. » Ce sont des certificats du pasteur d’abord et ensuite du maître qui constatent que l’enfant peut être retiré de l’école. C’est encore le pasteur qui s’occupe de savoir si tous les enfans sont envoyés à l’école, et d’avertir les parens qu’ils aient à remplir ce devoir sous peine de tomber sous le coup de la loi. Frédéric II voulait se donner un peuple facilement gouvernable et une armée fortement disciplinée. Il n’a pu concevoir un meilleur moyen de discipline, et il léguait à ses successeurs un admirable instrument d’organisation ; mais, si cet instrument a pu être aussi facilement appliqué, s’il a produit