Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expérience, et comme l’a établi ici même un écrivain des plus autorisés dans la matière[1], Paris a été plus souvent le théâtre que l’auteur véritable des attentats contre les lois qui se sont succédé dans notre pays avec une sorte de régularité périodique et avec la consécration presque constante du succès. Ces attentats n’avaient en effet chance de réussir qu’au siège même du pouvoir central. Ils trouvent d’ailleurs les conditions les plus favorables dans une aussi grande ville, le refuge presque assuré de tous ceux qui ont quelque chose à cacher dans leur vie ou dans leurs desseins, et où il peut suffire de soulever la millième partie de la population pour mettre en péril l’ordre établi ; mais l’insurrection la plus formidable n’y a jamais été que le fait d’une minorité. Le nombre est toujours restreint de ceux qui risquent leur vie par passion politique. Plus rares encore, il faut le reconnaître, sont ceux qui l’exposent par devoir civique : Paris a plus d’une fois donné ce noble exemple, et quand on rappelle les guerres civiles qui ont ensanglanté ses rues, on oublie trop que, dans la plupart de ces tristes luttes, les belligérant de part et d’autre se sont également recrutés chez lui. Entre ces deux minorités, la majorité, à Paris comme en province, attend les événemens ; elle ne peut être accusée, dans ceux qui transforment une émeute en révolution, que d’une complicité négative, qui n’est pas toujours l’effet de l’esprit d’opposition, de l’indifférence ou du manque de courage, et qui trouve souvent son excuse dans le défaut d’organisation ou dans l’absence d’ordres précis. Souvent les catastrophes ont été si rapides qu’elles n’ont été connues, à Paris même, de la plupart des habitans, que par les affiches des vainqueurs et par les récits des journaux ; la nouvelle, grâce au télégraphe, pouvait en arriver aussi vite dans les départemens les plus éloignés. Dès lors, il n’y avait pour la France entière d’autre alternative que la soumission ou la révolte. Or la révolte, pour les citoyens attachés à l’ordre et habitués au respect des lois, rencontre à Paris les mêmes obstacles qu’en province, et peut-être de plus grands encore, car cette immense agglomération d’hommes, qui équivaut à la population de cinq ou six départemens, n’offre aucun de ces groupes naturels qui peuvent se prêter ailleurs à une action commune, non seulement par leur constitution légale, mais par l’espèce de vie collective qu’entretiennent entre leurs membres des relations de tous les jours. Les arrondissemens, les quartiers, les maisons elles-mêmes, ne sont guère pour leurs habitans que des centres factices et fortuits qui les laissent à peu près sans lien. Et cependant, malgré ces obstacles, les faits accomplis n’ont pas toujours fait loi pour les

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1871, Paris politique et municipal, par M. Augustin Cochin.