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le toit d’ardoise intact et les blanches fenêtres à leur place accoutumée. M’y aura-t-on laissé une place au foyer maternel ? Des sentinelles gardent l’entrée du village, et annoncent qu’un corps ennemi l’occupe. Heureusement il ne reste plus chez ma mère que dix soldats polonais, fort doux, qui couchent tous ensemble sur de la paille dans une chambre du rez-de-chaussée. Pendant le siège, elle a logé, nourri, chauffé quatre-vingts hommes et sept officiers. Ces gens du nord, habitués à la forte chaleur de leurs poêles de faïence, mouraient de froid en face de nos cheminées. Nuit et jour, il fallait entretenir dans leurs chambres de véritables brasiers où les bûches s’engouffraient par centaines. Tous les marbres des cheminées ont éclaté, et la provision de bois de deux ans a disparu en quinze jours. Aucune violence du reste ; il semble même qu’il se soit trouvé parmi les officiers un ami secret qui a tenu à honneur de ménager la maison et de ne permettre dans le village aucune déprédation.

La prise de Longwy a coûté cher aux Prussiens. Les francs-tireurs et les volontaires enfermés dans la place ont souvent poussé leurs sorties jusqu’à trois lieues de distance, surpris des postes, enlevé des cavaliers, débusqué l’ennemi de ses positions. Dans ce pays montagneux et boisé, propice aux embuscades, on faisait la seule guerre qui permît à des troupes jeunes de lutter avec avantage contre des soldats plus nombreux et mieux disciplinés, la guerre de partisans. Dans la brume des brouillards d’automne, les hauteurs boisées cachaient quelquefois des tireurs invisibles qui attendaient l’ennemi au passage et le frappaient à coup sûr. Les chasseurs de la frontière sont renommés pour la précision de leur tir ; ils s’étaient faits soldats par patriotisme : quelques-uns même servaient les canons de la place et les servaient si bien qu’ils démontèrent les batteries prussiennes sur trois points, à Heumont, au bois du Chat, au-dessous de Mexy. Malheureusement, par une des plus sombres journées du mois de janvier, les assiégeans parvinrent à établir, sans être vus, leurs mortiers et leurs obusiers à une petite portée des remparts, sur le plateau de Romain. De là, ils écrasèrent la ville de projectiles incendiaires, et ils éteignirent le feu de toutes les pièces qui pouvaient leur répondre. Le bombardement dura neuf jours. Au bout de ce temps, l’église tombait en ruines, la toiture de l’hôtel de ville s’affaissait, un carré de bâtimens, dont un des côtés donne sur la place et l’autre sur la grande rue, brûlait tout entier, une partie des remparts et des casernes s’écroulait ; presque toutes les maisons avaient été atteintes par les projectiles. Pour éviter de nouveaux malheurs absolument inutiles, le commandant, voyant ses pièces démontées et reconnaissant l’impossibilité de se défendre sans artillerie, dut se décider à capituler, mais avec des regrets infinis, après avoir épuisé toutes les formes de la résistance.