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et que l’humanité ordonne la patience, quand la patience ne peut plus nulle part créer l’incertitude.

Il y a donc en ce moment à Versailles trois choses qui forment l’invincible faisceau de la France, séparée de Paris par la commune, qui, sortie violemment de ses attributions municipales et s’écartant chaque jour davantage de revendications dont nul ne pouvait méconnaître la légitimité, tyrannise, faute de pouvoir les convaincre, ceux de moins en moins nombreux que la nécessité soumet à ses décrets. Ces trois choses sont l’assemblée nationale, M. Thiers investi par elle du pouvoir exécutif, l’armée française, et contre ce faisceau viendront se briser les passions de la commune de Paris, d’autant plus impuissantes qu’elles ont le tort de s’exprimer en termes renouvelés mal à propos de 93.

Nous voudrions faire quelques courtes réflexions sur le caractère et la conduite de ces trois forces diverses réunies dans le même cercle et coopérant à la même œuvre. Commençons par l’armée.

Disons-le franchement : l’armée avait un grand devoir à remplir et une grande revanche à prendre devant le pays. Pervertie par une mauvaise organisation, plus prétorienne que nationale, gâtée par des pratiques plus mauvaises encore que son organisation, livrée dans beaucoup de ses commandemens à l’esprit de courtisanerie et au régime de la faveur, faite de plus en plus pour les parades de la force et pour des représentations comme celles de Saarbruck, le 4 août 1870, plutôt que pour de vraies journées militaires, perdant peu à peu par l’influence des exemples d’en haut la virilité et la sincérité que donne le généreux métier des armes, l’armée devait, aussitôt qu’elle se heurterait contre la réalité, éprouver un désappointement et un échec qu’avaient prévu et annoncé quelques-uns de ses chefs et ses meilleurs amis. Le désappointement a été terrible. Il laissera dans l’histoire de France quelques pages inexpiables. Tout fît à la fois défaut à nos soldats, la science des chefs, l’activité des intendans, la prévoyance des dangers, tout, sauf le courage, devenu inutile et impuissant. La guerre sembla une science que les Français avaient oubliée, ou plutôt dont ils n’avaient pas suivi les progrès. Le duel qui, au xve et au xvie siècle, avait tué la chevalerie par les armes à feu, parut se renouveler entre la guerre de nature et d’instinct et la guerre d’art et de précision. Le courage fut cette fois encore battu par la science. C’est ce grand et douloureux désappointement que l’armée sent bien qu’il lui faudra du temps pour réparer ; mais avant de le réparer par la science et les études, il fallait, pour réorganiser l’armée et la mettre à même de suffire aux calamités de l’heure présente, il fallait se servir de la science et des talens militaires de ceux qui en avaient conservé le dépôt malgré l’inertie et l’irréflexion impériales, qui l’avaient augmenté par les méditations de la captivité, et que la captivité nous rendait : il fallait refaire la discipline et la fermeté du soldat, le soin et la vigilance des officiers. Voilà ce qui s’est