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Il prit dans le panier de Gilberte le grain à pleines mains, et le répandit par volées. Toute la bande accourut. Les plus gloutons picoraient entre ses pieds et se culbutaient les uns les autres. Leurs ailes et leurs têtes à reflets changeans miroitaient au soleil. — Ce n’est pas tout à fait ce qui m’occupe à Paris, ajouta René, mais c’est presque aussi amusant.

— Que faisiez-vous donc là-bas ? demanda Gilberte en attachant sur son compagnon deux grands yeux limpides dont un air de gaîté tempérait la profondeur.

— Déjà curieuse ! Tenez ! vous voyez ces jolis pigeons qui s’enfuient quand je bats des mains… Si je vous racontais ce qui m’occupe à Paris, j’imagine que vous feriez comme eux.

— Ah ! oui, les sottises dont vous parliez tantôt ! — Gilberte devint subitement songeuse. — C’est singulier, reprit-elle. Pendant que j’étais à Niederbrulhe, je surpris un jour de fête une de mes amies, une Allemande, qui pleurait derrière un massif de lilas. Il faisait un clair soleil comme aujourd’hui. Elle m’apprit que son frère s’était ruiné, et qu’il avait dû partir pour l’Amérique ;… mais elle me parla de folies et non pas de sottises.

— Folies et sottises sont presque sœurs, murmura René.

Un voile de tristesse se répandit sur sa physionomie. — Est-ce que par hasard vous aussi ?… poursuivit Gilberte.

— Oh ! non ! je n’en suis pas encore là, Dieu merci ! mais il y a l’avenir !…

— Et moi, ne puis-je rien pour vous ?

— Vous pouvez m’accorder deux valses et deux polkas, répliqua René, qui partit d’un grand éclat de rire.

Il vit une larme dans les yeux de Gilberte.

— Pardonnez-moi, reprit-il en s’emparant de la main qu’elle lui tendait, vous avez le cœur bon,… et je vois qu’avec vous c’est sérieux ; mais une jeune fille de votre âge qui offre ses petites économies à un grand garçon tel que moi, c’est fait pour surprendre.

— Vous savez, dit Gilberte, qui s’essuya les paupières du bout de ses doigts fins, il y a une fable de La Fontaine…

— Oui, oui.

On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

Eh bien ! si le petit, c’est vous, cousine, je n’en veux pas d’autre. À présent, offrez-moi à déjeuner, et conduisez-moi à Mme de Villepreux.

Gilberte parut à La Gerboise et y dansa avec René. Elle l’observa sans y penser. Son cousin, comme il s’intitulait lui-même, et il l’était un peu à la mode de Bretagne, était un aimable garçon d’une