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Elle eut ainsi des alternatives d’oubli et de tristesse, égayée quelquefois par la nouveauté du spectacle, et rendue à son chagrin par une rencontre, un paysage, un mot, qui lui rappelaient La Marnière et Mme de Villepreux. Sa course s’arrêta aux environs de Cologne, devant une maison de belle apparence. Elle y fut reçue par une dame d’un certain âge qu’elle n’avait jamais vue, et qui, après l’avoir embrassée, la fit conduire dans une petite chambre fort propre dont l’unique fenêtre donnait sur la campagne, et qu’une porte ouverte mettait en communication avec une série de petites chambres toutes semblables. Un lit, une toilette fort simple, une commode et deux chaises en formaient tout l’ameublement. — Vous m’êtes confiée, reprit la bonne dame d’un air tranquille et doux ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour remplir les intentions de Mme de Villepreux, et j’espère que de votre côté vous m’aiderez à m’acquitter de mon mieux de la tâche que j’ai acceptée.

La gouvernante repartit dans la soirée, laissant Gilberte dans la maison de Niederbrulhe, où l’enfant savait déjà qu’elle devait passer plusieurs années, interrompues seulement, au temps des vacances, par un mois de séjour à La Marnière.

II.

Pendant la première nuit que Gilberte passa sous les rideaux blancs de son petit lit, la fatigue l’emporta sur la tristesse. Le lendemain, au réveil, la curiosité eut son tour. Tout la surprenait. L’inquiétude aussi l’empêchait de sentir son chagrin ; mais, après une journée écoulée au milieu de visages qu’elle ne connaissait pas, et un peu lasse des efforts qu’elle avait faits pour se dominer et ne pas pleurer, quand elle se retrouva dans le dortoir, où des chuchotemens légers s’échangeaient dans un idiome qu’elle n’entendait point, le sentiment de la solitude la saisit. Des rires étouffés circulaient dont elle ne comprenait pas la signification ; ils s’assoupissaient, renaissaient, et, seule, elle ne s’y mêlait que par une attention qui ne lui apprenait rien. Le souvenir de sa mère et de La Marnière lui revint ; un flot de larmes jaillit de ses yeux, et elle cacha sa tête dans l’oreiller pour étouffer les sanglots qui l’oppressaient.

La maison de Niederbrulhe où Gilberte avait été si brusquement transportée n’a point d’analogue en France. On y enseignait, avec les élémens d’une éducation étendue et vigoureuse, tous les devoirs de la vie pratique. Des salles d’étude, où l’on initiait les élèves aux beautés des littératures variées des nations les plus policées, et où des professeurs distingués les faisaient pénétrer dans les secrets de