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Ces auteurs, en admettant l’impôt progressif, n’étaient pas placés dans les conditions où nous sommes aujourd’hui ; ils pouvaient croire qu’établi à un taux modéré, il n’aurait pas de graves inconvéniens. Toutefois ils sacrifiaient à un principe faux ; ce qui est mauvais dans l’impôt progressif, c’est surtout l’idée que la taxe en général ne doit être payée que sur le superflu.

En définitive, les services que rend l’état profitent à tout le monde ; la sécurité qu’il assure, la justice qu’il garantit, sont des avantages dont chacun a besoin, le pauvre comme le riche : ils sont inhérens à la personne, indépendamment de toute position sociale. On peut même dire que le pauvre en a plus besoin encore, parce qu’il est moins en mesure de se protéger lui-même. Si, en ce qui concerne la protection due à la propriété, le riche demande plus que le pauvre, il paie aussi davantage, et quand il a payé en proportion de sa fortune, il a plus que satisfait à ses obligations, car les charges qu’il impose ne sont pas en rapport avec les droits qu’il acquitte. Les lois du commerce sont toutes différentes. Celui qui achète en gros paie moins cher que celui qui achète en détail, par la raison bien simple qu’il occasionne moins de frais. Il en est de même pour celui qui expédie 1,000 tonnes de marchandises sur un chemin de fer et à une destination éloignée ; il mérite d’être traité avec plus de faveur que celui qui n’en envoie que 10 et à une distance assez courte. Aussi lui applique-t-on un tarif différentiel, qui diminue à mesure qu’augmentent la quantité à transporter et la distance à parcourir ; c’est de toute justice. Pourquoi les services rendus par l’état ne seraient-ils pas appréciés de la même manière ? Il ne lui en coûte point, pour protéger une fortune de 100,000 francs de rente, cent fois plus que pour en défendre une de 1,000, et, lorsque le propriétaire des 100,000 francs de rente a payé l’impôt en proportion de sa richesse, il a certainement dépassé la limite de ce qu’il doit rigoureusement. Si maintenant on lui demande l’impôt non-seulement sous la forme proportionnelle, mais encore sous la forme progressive, alors c’est plus que le renversement des lois de l’économie politique, c’est la violation même de l’équité, c’est une véritable spoliation. Autant vaudrait dire que, pour toutes les choses de la vie, il y aura des prix différens selon la fortune des individus, que le riche paiera le pain 40 centimes la livre, et le pauvre 20 centimes. Cela serait tout aussi équitable que d’imposer l’un à 6 pour 100 de son revenu, et l’autre à 3 pour 100, et cela satisferait davantage ceux que l’on veut favoriser, car le prix du pain les intéresse beaucoup plus que le taux de l’impôt. Du moment qu’on déroge aux règles ordinaires pour les rapports avec l’état, on ne voit pas pourquoi on n’agirait pas de même vis-à-vis de l’industrie, pourquoi en tout et partout les riches ne paieraient pas pour les pauvres ; c’est le