Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viron 40 millions de francs, ce qui prouve une fois de plus que, pour avoir un impôt productif et en même temps assez léger, il faut en généraliser l’application, l’étendre aussi bas que possible ; autrement on a des taxes fort lourdes qui produisent très peu. C’est l’inconvénient de tous les impôts d’exception. En Angleterre, où la richesse est moins divisée que partout ailleurs, où il y a de grosses fortunes territoriales et industrielles, l’income-tax constitue une ressource assez considérable ; il a donné l’année dernière encore, malgré la réduction à 4 deniers, ou 1 3/4 pour 100, 160 millions de francs ; mais on ne pourrait pas compter sur un pareil résultat dans les autres pays, dans le nôtre surtout, où la division de la propriété existe sous toutes les formes. L’exemption au-dessous de 1,200 fr. mettrait en dehors de l’impôt la plus grande partie de la fortune publique.

On se figure qu’au taux de 3 pour 100 il rapporterait au moins 200 millions ; c’est une illusion complète. La France est riche, très riche assurément, et ses ressources, qui, comme l’a dit avec raison M. Thiers, n’ont pas encore été sérieusement atteintes, égalaient presque avant la guerre celles de la Grande-Bretagne. On en avait la preuve dans le chiffre de notre commerce extérieur, qui grandissait chaque année, — dans le mouvement du portefeuille de nos établissemens de crédit, et aussi dans l’importance qu’avait prise la bourse de Paris, qui était devenue autant que celle de Londres le centre des négociations de tous les emprunts du monde. Seulement, si les ressources de notre pays sont grandes, elles sont aussi, je le répète, très divisées. Les grosses fortunes chez nous sont rares. Ce qui est très répandu, c’est une aisance générale qui ne dépasse pas un certain niveau assez modeste. La richesse est mieux répartie qu’en Angleterre ; on ne voit pas ces inégalités choquantes du plus grand luxe à côté des misères les plus effroyables. La masse du peuple en France a un petit faire-valoir sur lequel elle vit, et c’est là même ce qui fait la force de notre nation, ce qui l’assure contre des bouleversemens sociaux un peu profonds ; mais c’est aussi, quand on établit un impôt, ce qui nous oblige à l’étendre à tout le monde, sous peine de n’arriver qu’à des résultats insignifians. Les impôts de luxe n’ont jamais pu réussir dans notre pays ; non qu’on y ait moins qu’ailleurs le désir d’imposer les grandes manifestations de la richesse, tout ce qui accuse le superflu. Certes on n’a pas de déférence particulière pour les armoiries, les laquais poudrés, les meutes de chasse et les brillans équipages, et on aimerait assez pouvoir les taxer ; si l’on s’en prive, c’est parce que l’expérience a démontré qu’un impôt sur les objets de luxe, même porté à un taux très élevé, ne produisait presque rien, et causait un préjudice réel à beaucoup d’industries. On sera étonné d’apprendre que jusqu’en