Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transactions sont rares. Voilà le grand inconvénient du droit de mutation. Il en a un autre, c’est d’encourager la fraude. Cette fraude est considérable. Comme le droit à percevoir résulte d’une déclaration dont le contrôle est plus ou moins difficile et toujours vexatoire, beaucoup de gens ne se font aucun scrupule de tromper le fisc en portant au contrat un prix autre que le prix réel. Si celui-ci est de 1,500 francs, on déclare 1,000, et le trésor perd ainsi le tiers de ses droits. Tout le monde connaît la fraude, et les agens du fisc ne l’ignorent point ; mais ils la tolèrent, parce qu’ils ne savent comment l’empêcher, et qu’elle tient à l’élévation même de l’impôt : il y a une connivence tacite pour le ramener à un taux plus modéré. C’est là un mauvais moyen. Il ne profite qu’aux gens peu délicats ; ceux qui sont de bonne foi paient le droit tout entier, seulement ils s’abstiennent autant que possible des transactions qui y donnent lieu.

Cette taxe est encore mauvaise et anti-économique, parce qu’elle frappe celui qu’elle devrait épargner. En apparence, elle pèse sur l’acquéreur ; en réalité, c’est le vendeur qu’elle atteint, car elle est déduite du prix qu’il doit recevoir, et comme on vend souvent par besoin pour faire face à des charges, il s’ensuit que c’est le moins riche qui paie la taxe. Ici vraiment l’on peut dire que l’impôt est proportionnel, non à l’aisance, mais à la gêne. Aussi est-il condamné par tous les bons esprits, et il n’est maintenu que parce qu’il rapporte près de 120 millions dont on ne peut pas se passer. Pour faire quelque chose d’efficace en faveur des transactions, il faudrait réduire le droit de mutation au moins de moitié, le mettre à 3 pour 100. À ce taux, on pourrait espérer qu’au bout de quelque temps, avec un plus grand nombre de transactions et des déclarations plus sincères, on arriverait à regagner ce qu’on aurait abandonné. C’est ce qui a lieu pour tous les dégrèvemens faits avec intelligence, qui sont réellement utiles ; mais il faudrait pouvoir attendre, et nous n’en sommes pas là. Au reste l’administration elle-même a si bien senti que le droit de transmission à 6 pour 100 était excessif, qu’elle l’a diminué des deux tiers en ce qui concerne les aliénations du domaine public, des forêts de l’état par exemple ; elle l’a mis à 2 pour 100. Pourquoi cette distinction ? Pourquoi ce qui est bon pour l’état ne le serait-il pas pour les particuliers ? L’intérêt du fisc est le même dans les deux cas. Si d’une part, en réduisant le droit lorsqu’il agit comme vendeur, il espère avoir un prix plus élevé, de l’autre, en facilitant les transactions entre particuliers, il travaille au développement de la richesse publique, dont il est le premier à profiter. Il faut bien qu’il y ait quelque chose de très anormal dans cet impôt, car on ne le rencontre nulle