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vertes. Il se souvenait sans doute de ces entretiens quand il écrivait à Séguier ces paroles prophétiques ; « Depuis quelques années, je vois poindre une aurore nouvelle qui nous viendra en droiture de l’Orient. »

Il y avait donc encore au xviiie siècle des corporations importantes qui pouvaient, dans certaines limites, favoriser le développement de la science, aider ceux qui la cultivaient, leur fournir cette protection et ces secours qu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Malheureusement, à mesure que ce siècle marche, il se détourne de plus en plus des travaux savans. Ce n’était pas sa mission de laisser beaucoup de lourds in-folio à la postérité ; on écrivait surtout des brochures vives et légères qui couraient par toutes les mains, et qui ont changé le monde. La grande affaire à ce moment était de tirer les conséquences des principes qu’on discutait depuis la renaissance. Les doctes avaient assez longtemps débattu toutes ces idées ; il s’agissait de les répandre partout. On voulait leur donner une forme claire qui les fît comprendre des moins intelligens, et ces accens passionnés qui entraînent les plus paisibles. Ces dispositions sont bien ce qu’il y a au monde de plus contraire à la science. Aussi est-il facile de mesurer dans les lettres adressées à Séguier la décadence progressive de l’esprit scientifique en France. Les derniers correspondans sont bien plus faibles que les premiers ; plus on avance, plus les traditions et les méthodes se perdent. Le président d’Orbessan est loin de valoir le président de Mazaugues, et l’on ne rencontre plus dans les dernières années des gens qui soient à la hauteur de Bouhier et de La Bastie. Ces centres d’études qui s’étaient formés autour des grands parlemens n’existent plus. En 1780, le vieux président de Saint-Vincent écrivait à Séguier : « Pendant plus de deux siècles, la magistrature a produit de très beaux esprits et des gens qui ont cultivé avec succès tous les genres de littérature. Cela a bien changé de face : il y a encore quelques gens d’affaires, et bientôt il n’y aura plus rien. » La province était en train de perdre jusqu’aux derniers vestiges de cette vie savante qu’elle avait possédée. Paris appelait tout à lui, et l’on commençait à croire qu’on ne peut travailler ni vivre que là. Les sages se plaignaient « que ce gouffre destructeur attirât sans cesse et absorbât sans retour tous les talens, toutes les richesses, tous les hommes de la nation ; » mais après avoir bien gémi, ils faisaient comme les autres et se précipitaient dans le gouffre. La Bastie était un de ceux qui s’étaient le plus révoltés contre ce prestige de la capitale ; il finit pourtant par le subir d’assez mauvaise grâce. « Il faut dire la vérité, écrivait-il dans un accès d’humeur, les choses ne sont pas bien distribuées en France. Dans les autres états, plusieurs villes fournissent