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L’agile garnison de la montagne avait aperçu, du milieu de ses fourrés, le départ précipité et la longue traînée de l’émigration badoise couvrant les routes de l’est. Aussitôt ces guetteurs infatigables, nuit et jour à l’affût des défaillances de l’ennemi, ces loups de la forêt, nourris de frimas, guidés par l’instinct d’une haine infaillible, tous ces rusés et ces intrépides qui avaient semé de cadavres allemands les défilés de la Bourgogne et rougi du sang de l’envahisseur les neiges de décembre, descendirent en foule des hauteurs voisines, et vinrent, pour quelques heures du moins, se ravitailler et se réconforter dans la ville. Ils accouraient de tous les points de l’horizon, de tous les bois du département : ours de Nantes et des Pyrénées, chasseurs de l’Isère, de la Drôme et de l’Ardèche, tirailleurs républicains, volontaires du Rhône et de l’Allier, éclaireurs marseillais, fédérés de la mort, les contrastes les plus frappans du costume, de l’âge, de la taille, du pays, du drapeau, de l’opinion, s’y trouvaient représentés. Le colonel Bombonel, par son ascendant accepté bien plus que par son titre, maintenait un certain ordre et une apparence d’unité dans ces bataillons disparates, dans cet ensemble plein de vie, mais incohérent. Ils se succédaient du matin au soir sur la place semi-circulaire qui fait face au vieux Palais-des-Ducs : notre curiosité sympathique les y passait en revue. La campagne d’hiver les avait moins éprouvés qu’on ne pouvait le craindre. Ce qui dominait au contraire dans ce mouvant panorama militaire étalé sous nos yeux, c’était la vigueur, la santé, la bonne mine. Tout respirait l’ardeur et la résolution sur ces visages hâlés par le bivac et fouettés par la bise. Bien armés, suffisamment équipés, beaux à voir sous les armes avec leur tournure martiale, avec leur vive et alerte façon de manier la luisante carabine, ils avaient déjà quelque chose de l’aplomb des vieilles bandes. Quels magnifiques élémens d’infanterie légère la France possédait là ! L’instinct profond de la Prusse ne s’y est pas trompé, et les ressentimens dont elle a poursuivi les francs-tireurs nous doivent être un avertissement. Dans cette rancune de l’ennemi, voyons tout ensemble une colère contre le passé et une crainte pour l’avenir. On a compris qu’il y avait là une force d’une supériorité toute française, inimitable à la Prusse, et qui, développée avec soin, organisée avec intelligence, pourrait nous fournir une première compensation à nos récens désavantages. L’Allemand, né fantassin et « lignard, » excellent tireur, est un détestable franc-tireur. La vie d’aventures et de privations lui répugne. Lourd, méthodique et gastronome, il faut qu’il trouve le comfortable dans la guerre pour y déployer tous ses moyens. L’Allemand, c’est le type réussi et perfectionné du sédentaire.

Le repos des francs-tireurs à Dijon n’était qu’une halte. À peine