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pas content d’eux, il leur demandait leur démission ou les destituait, et les incorporait ensuite dans un bataillon de mobilisés. M. Frédéric Thomas, préfet du Tarn, s’avisait de dissoudre de sa propre autorité, au mépris de toutes les lois, le conseil-général de son département sous prétexte que « la plupart des membres avaient été élus sous la pression et l’influence de la candidature officielle. » Plusieurs de ses collègues suivirent cet exemple ; il est bien entendu que tous se gardèrent de faire des élections nouvelles ; ils administrèrent seuls les fonds des départemens, ou nommèrent des commissions de leur choix. Tels étaient les procédés de ces préfets du 4 septembre, presque tous journalistes radicaux la veille, improvisés dictateurs pour violer tous leurs principes : liberté individuelle, liberté de presse, liberté d’élections, contrôle des deniers publics.

L’on devait bientôt avoir une preuve flagrante du discrédit qu’un gouvernement aussi irrégulier jette sur le présent et sur l’avenir d’un grand pays. La délégation de Tours avait un pressant besoin d’argent. Les rentrées des impôts et des termes de l’emprunt de 750 millions, contracté au mois d’août, ne suffisaient pas aux dépenses toujours croissantes. Assurément, au point de vue financier, l’on ne peut être trop sévère contre le gouvernement de Tours et de Bordeaux ; il gaspilla l’argent des contribuables sans contrôle et sans publicité. Tous ces projets grandioses et inexécutables, toutes ces levées d’hommes exagérées ou prématurées, tous ces travaux dont la plupart n’avaient aucune utilité sérieuse, engloutirent des sommes fabuleuses, probablement doubles ou triples de celles que dépensèrent nos ennemis. Néanmoins au mois d’octobre on ne faisait qu’entrer dans cette voie de prodigalités mineuses. Ce fut un chiffre modique, 250 millions, que l’on s’efforça de se procurer par un emprunt. Si l’administration avait eu une base un peu solide, on aurait pu facilement réaliser ces 250 millions à 6 pour 100 : la rente était alors cotée à Paris 50 ou 54 francs ; mais un gouvernement irrégulier, sans garantie, et qui, à tous les échelons, paraissait emporté par la fougue révolutionnaire, était dans l’impossibilité d’obtenir crédit à si bon compte. Aussi paraît-il que les plans les plus monstrueux furent proposés dans l’entourage de la délégation de Tours. Il vint à la pensée de quelques-uns de nos gouvernans que l’on pourrait contracter un emprunt dont chacune des communes de France serait tenue de souscrire une part proportionnée à la somme de ses contributions ; mais, comme le crédit des communes est généralement très restreint, l’on eût dressé dans chacune la liste des douze habitans les plus riches. Ces douze citoyens auraient été contraints, sous des peines rigoureuses, de verser dans les mains de l’état le montant de la taxe imposée à la