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nous sauver. Ces espérances allégèrent longtemps le sentiment de nos maux, et valurent bien des adhésions au gouvernement. Enfin la convocation à bref délai de l’assemblée constituante éloigna les derniers restes de crainte. Si terrible que fût la situation de la France, peu d’hommes alors allaient jusqu’au fond des choses. Chacun attendait pour un terme prochain la délivrance et un gouvernement régulier. On savourait à l’avance ces événemens heureux, et l’on s’épargnait les récriminations. À aucun instant de ce siècle, la France ne fut aussi unie que dans la seconde quinzaine de septembre. Il n’y avait pour ainsi dire plus de partis, ou du moins ils se dissimulaient eux-mêmes et s’oubliaient. Les mauvaises impressions des premiers jours avaient cédé la place à des sentimens plus favorables. Chacun était décidé à soutenir les ministres de la défense nationale, sous la réserve « qu’ils n’interviendraient dans ce désordre de l’armée, des finances et de l’administration que pour établir un bilan nécessaire, comme des liquidateurs et des syndics. » Si l’on eût alors procédé à des élections, elles eussent produit une chambre républicaine sans arrière-pensée. Dans la plupart des départemens, où l’on fit des listes de candidats, les conservateurs éliminèrent systématiquement tous les anciens députés et tous ceux qui avaient porté l’attache officielle. C’était appliquer à l’avance et de plein gré les décrets de M. Gambetta, qui excitèrent quatre mois plus tard une réprobation aussi universelle que méritée. Quelles ont été les causes du revirement si profond qui s’est produit dans ces derniers mois ? Il faut faire ici la pénible histoire des défaillantes, des désordres, des actes d’arbitraire, dont la province fut trop longtemps le théâtre. C’est un triste et lamentable spectacle, qui résume toutes les imperfections et tous les vices de notre caractère national, de notre système administratif et de nos traditions gouvernementale. — Cette période de cinq mois, qui s’étend du 19 septembre à l’armistice du 28 janvier, peut et doit se diviser en trois époques distinctes. La première finit le 9 octobre par l’arrivée à Tours de M. Gambetta ; elle est caractérisée surtout par les irrésolutions, les inquiétudes, les agitations des fonctionnaires et des foules dans les grands centres ; c’est déjà l’anarchie et l’usurpation, ce n’est pas encore le crime dans la rue ni le despotisme éhonté. La seconde époque s’étend de l’arrivée de M. Gambetta jusqu’à la nouvelle de la chute de Metz et à la rupture des négociations pour l’armistice, c’est-à-dire jusqu’au 4 ou au 5 novembre : le désordre et la dictature s’accentuent, ainsi que les violences populaires ; mais c’est dans la troisième phase, du 5 novembre au 28 janvier, que tous les fléaux paraissent déchaînés sur la France, dans les grandes villes les méfaits d’une populace cynique, le délire de proconsuls