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banal dans la biographie des artistes que ce fait de leur empressement à s’en prendre, pour manifester leurs aptitudes précoces, aux marges de leurs livres de classe ou aux pages de leurs cahiers. Aussi oserions-nous à peine relever une fois de plus à propos de Regnault ces témoignages accoutumés de la vocation, s’ils ne s’étaient conciliés chez lui avec les preuves non moins certaines de facultés d’un autre ordre, avec les dons d’une intelligence passionnée pour toutes les formes du beau, prompte à tous les enthousiasmes, capable de recevoir et de comprendre tous les genres d’instruction. Ceux qui ont connu Henri Regnault à cet âge parlent de lui comme d’un écolier doué d’une facilité telle qu’il réussissait presque en se jouant à obtenir au lycée, et même au concours général, les succès auxquels on n’arrive habituellement qu’à force de patience et de travail. Ils se rappellent aussi ses dispositions extraordinaires pour la musique, la vivacité de certaines préférences un peu archaïques, qu’il garda du reste jusqu’à la fin, et le bonheur avec lequel il passait une partie de ses jours de congé à déchiffrer au piano des motets et des madrigaux du xvie siècle ; déjà même il les chantait de cette voix sympathique qui devait plus tard à Paris, comme à Madrid, comme à Rome, charmer un cercle d’amis.

Ajoutons qu’une autre passion le possédait encore, passion bien vive aussi, non moins durable chez lui que l’amour de l’art auquel il destinait sa vie, et d’autant plus digne de son imagination ardente qu’en lui procurant une satisfaction esthétique elle achevait de la séduire par l’occasion d’une lutte contre le péril. À l’exemple de Byron et de Lamartine, de Géricault et de Decamps, Regnault aimait les chevaux avec la clairvoyance d’un expert en matière de beauté et l’impétuosité d’un cœur avide de tout ce qui donne ou promet une victoire sur le temps, sur l’inconnu, sur l’espace. Pour lui, comme pour ces grands peintres et ces grands poètes, l’équitation n’était pas seulement un exercice hygiénique ou un amusement, c’était presque une occupation sérieuse, une sorte de travail viril exigeant, en même temps que la connaissance de certaines difficultés spéciales, la hardiesse qui les affronte et l’adresse qui sert à les surmonter. Aussi, même dès son enfance, ne consentait-il guère à s’accommoder des conditions que lui imposait la prudence des écuyers de manège ou la sollicitude de ses parens. Si beau qu’il fût, un cheval n’avait de prix à ses yeux, il ne lui paraissait mériter d’être employé par lui qu’autant qu’il se montrait décidément impatient ou rebelle. Que de fois, alors comme dans les années qui suivirent, comme à l’époque où il entreprenait à travers les fondrières de la campagne de Rome ces courses vertigineuses qui ressemblaient à des défis insensés au danger, Regnault ne faillit-il point payer de sa vie le fougueux plaisir qu’il avait voulu se donner ! Que de fois de graves accidens ne vinrent-ils pas, sans corriger sa témérité, en punir les excès, jusqu’à l’heure où, se croyant quitte envers le sort par quelques jours de repos et de