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ponse à une interpellation parlementaire, le secrétaire d’état de la guerre, M. Cardwell, avait déclaré dernièrement qu’il existait 300,000 de ces carabines en Angleterre ; mais après vérification fut reconnu que le ministre s’était trompé, et qu’il n’y en avait réellement que 248,000, le reste étant dispersé dans les dépendances coloniales de l’empire britannique. En aucun pays de l’Europe, la transformation de l’armement de l’infanterie n’a eu à lutter contre des préjugés plus obstinés. Les vieux généraux auxquels le war office accordait sa confiance soutenaient, comme ils l’ont fait partout, qu’un fusil à tir rapide est plus nuisible qu’utile sur le champ de bataille. Toutefois à l’automne de 1866 la décision était prise ; il ne restait plus qu’à déterminer le modèle de la nouvelle arme. Ce fut l’objet des études de diverses commissions qui s’accordèrent enfin à recommander un type qu’elles avaient longuement éprouvé. On pourrait croire que tout était dit, et qu’il ne restait plus qu’à fabriquer les fusils de ce modèle préféré ; néanmoins la fabrication n’est pas commencée. Il y en a à peine quelques milliers à l’essai. On continue d’acheter, pour compléter les approvisionnemens, l’ancienne carabine Enfield, que l’on a déclarée imparfaite.

Enfin le nombre des soldats n’a pas moins d’importance que leur armement et leur organisation. Pour mettre sur pied une armée régulière de 50,000 hommes, dont chacun avoue l’insuffisance, la Grande-Bretagne dépense des sommes si considérables qu’elle ne peut songer à quintupler ce nombre par les mêmes moyens ; le budget entier serait loin d’y suffire. La milice est une réserve efficace, à laquelle on confierait la défense du territoire, si les besoins de la guerre obligeaient de transporter l’armée régulière au dehors ; mais milice et armée régulière ne font que 150,000 hommes, ce qui ne peut se comparer aux immenses armées de l’Europe. Si les miliciens peuvent être assimilés à nos gardes mobiles, les volontaires valent à peine nos gardes nationaux, sédentaires, avec cette différence capitale que le service militaire n’est pas obligatoire pour eux, et qu’ils se font rayer des contrôles dès que les exercices que l’on en exige requièrent plus de temps qu’il ne leur convient d’en donner à la patrie. En somme, le chiffre total est trop faible et ne s’accroîtrait que par des mesures coercitives qui ont un double inconvénient : elles répugnent au caractère national, et l’on ne sait pas au juste ce qu’elles doivent être pour devenir sérieusement efficaces. La Grande-Bretagne en est encore à l’ancien système, qui comportait des troupes peu nombreuses, uniquement composées d’hommes voués à la carrière des armes. Elle aimait à retrouver dans cette organisation militaire l’un des principes de son industrie, la division du travail. Pour bien faire une chose, se disait-on, il faut s’en