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IV.

La haine des États-Unis, le dédain de la Russie, l’ambition de la Prusse, voilà trois ennemis qui menacent de fondre sur la Grande-Bretagne à courte échéance. Quels alliés trouvera-t-elle au jour du danger ? Sera-ce la France qu’elle abandonne en ce moment, ou l’Autriche que la Prusse et la Russie observent de près, ou l’Italie pour laquelle elle n’a eu que des démonstrations stériles ? Assurément non ; ce sera donc la Turquie, ou l’Espagne, ou la Hollande. Autant dire qu’elle sera seule, isolée comme elle a voulu l’être. Et quelle armée a-t-elle à opposer à ses envahisseurs ? 50,000 hommes de troupes régulières avec 200 pièces de canon, 100,000 miliciens et 150,000 volontaires ! Que l’on songe que le prince Frédéric-Charles avait devant Orléans, le 4 décembre dernier, 90,000 hommes de troupes régulières et 400 pièces de canon ; ce n’était cependant qu’une seule des armées allemandes.

L’insuffisance des armemens a été en effet l’une des causes de la timidité du cabinet britannique depuis quatre mois. Ce n’a pas été la cause unique ; mais c’était assez pour confirmer les ministres de la reine dans une réserve qui convenait à leur tempérament. Pour bien se rendre compte de ce qui manque à l’armée anglaise, il convient de l’examiner sous les trois aspects du nombre, de l’armement et de l’administration, car ce sont là les trois élémens de la puissance d’une armée. En tant qu’administration d’abord, personne n’a oublié les mécomptes terribles qu’éprouvèrent nos alliés devant Sébastopol ; il serait téméraire d’affirmer que la leçon leur a été profitable. Leur nouvelle organisation est copiée sur les règlemens de notre intendance. Tout le monde dira qu’ils auraient pu mieux faire. Nos règlemens sont bons, parfaits même, si l’on veut, en temps de paix ; mais le plus routinier des administrateurs sait que l’on pourvoit aux besoins d’une armée en campagne avec de l’intelligence et du caractère, non avec des règlemens. Quant à l’armement, nos voisins en sont encore à se demander si leurs bouches à feu seront de bronze ou d’acier, si elles se chargeront par la gueule ou par la culasse. Ces questions, qui ont été successivement débattues depuis quinze ans par plusieurs comités d’hommes de l’art, ne sont pas encore tranchées. Après de coûteuses expériences et de longues discussions entre les systèmes Armstrong et Whitworth, le choix n’est pas arrêté, et par conséquent il n’y a pas en Angleterre d’artillerie capable de lutter contre celle des puissances rivales. En ce qui concerne les armes portatives, fantassins et cavaliers ont la carabine rayée d’Enfield, qui fut adoptée en 1853 et qui a été transformée depuis en arme se chargeant par la culasse. En ré-