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intimidé par des foulons, des cordonniers, des maçons, des ouvriers sur métaux, des laboureurs, de petits marchands, des colporteurs, des brocanteurs ? car voilà le monde qui compose l’assemblée du peuple. »

Ce qui explique et justifie le rôle joué par les artisans à Athènes, rôle plus considérable que nulle part ailleurs dans l’ancien monde, c’est un trait fort honorable du caractère athénien, c’est la faveur et l’estime que trouvait à Athènes le travail libres Au contraire, dans les autres états grecs, surtout dans les états doriens, toute œuvre manuelle était considérée comme servile et abandonnée aux serfs de la glèbe et aux esclaves. Nous autres, fils d’une société où la fortune, les honneurs, la considération, sont le prix du travail, ne mettrons-nous pas ces corroyeurs et ces cordonniers, pour qui Aristophane, Xénophon et Platon n’ont pas assez de railleries, au-dessus du Spartiate, qui ne sait que foire de la gymnastique ou se battre, et dont l’orgueilleuse oisiveté suppose nécessairement, à côté et au-dessous d’elle, le plus cruel, le plus monstrueux esclavage qui fut jamais ?

On éprouve sans doute quelque étonnement à voir que les gens de métier prissent ainsi à Athènes une part effective aux travaux de l’assemblée et des tribunaux, et que le hasard de la fève (c’étaient des fèves que l’on mettait dans l’urne) pût élever le premier venu à l’archontat ; c’est qu’à partir du Ve siècle les fonctions de l’archonte et en général toutes celles dont les titulaires étaient désignés par le sort étaient telles que tout Athénien, pourvu qu’il fût honnête et sain d’esprit, pût s’en trouver investi sans que la chose publique fût exposée à en souffrir. L’habitude de fréquenter l’assemblée et de siéger dans le jury donnait à chaque citoyen une connaissance pratique des formes administratives et judiciaires, une expérience politique, une notion des lois civiles, qui, de nos jours même et dans les plus avancées de nos sociétés modernes, ne se rencontreraient que bien rarement hors d’une élite très peu nombreuse. Le prolétaire athénien n’était pas, comme l’ouvrier de nos manufactures, absorbé par un labeur opiniâtre, harassants sans trêve ni relâche, sans loisirs qui permettent au citoyen de se faire quelque idée des grandes questions débattues dans le pays ; aidé par l’esclave, auquel il réservait les travaux les plus fatigans, payé par les alliés pendant un demi-siècle pour juger leurs procès, indemnisé par le trésor quand il quittait ses intérêts privés pour veiller sur ceux de l’état, vivant d’ailleurs de peu dans une ville où le commerce faisait affluer toutes les denrées, sous un ciel qui conseille et impose la sobriété, il pouvait se tenir au courant de toutes les discussions, suivre les luttes des partis, apprécier leurs prétentions contradictoires, s’initier aux principaux usages constitutionnels