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pouvaient plus voir, palpait les muscles de la poitrine et du ventre, le large dos et les puissantes épaules ? Qu’aurait-il donc fait, s’il avait eu la joie de connaître les marbres du Parthénon, la frise de la cella et les figures des deux frontons ? En face des Parques, du Thésée, de l’Ilissus, cet ardent et sincère génie n’aurait-il pas été le premier à sentir en quoi Phidias lui était supérieur, pour avoir su réunir la force et la grâce, pour avoir su donner à la forme humaine le plus haut caractère de noblesse et de grandeur qu’elle puisse revêtir, sans jamais outrer les proportions et sortir du vrai ?


II

Nous avons dû présenter dans un tableau d’ensemble les résultats généraux, grouper tous ces noms qui se suffisent à eux-mêmes, rappeler en quelques mots ce qu’Athènes avait fait, en ce siècle incomparable, pour la Grèce ou plutôt pour l’humanité tout entière ; mais c’est de l’éloquence politique et judiciaire que nous voulons retracer ici l’histoire, c’est d’elle seule qu’il sera question désormais. L’éloquence politique commence à élever la voix avec Périclès, au moment même où les grands poètes dramatiques d’Athènes font retentir le théâtre de leurs accens ; mais elle n’atteint son apogée qu’au siècle suivant, à l’heure où vont succomber, sous l’effort écrasant d’une monarchie militaire, de la Macédoine, l’indépendance athénienne et la liberté de la Grèce. Nous suivrons l’art oratoire depuis ses débuts jusqu’à la tragique catastrophe qui abat aux pieds des satellites d’Antipater l’éloquence athénienne, vaincue, mais encore indomptée et protestant jusqu’au dernier souffle contre les victoires de la force. Du Pnyx, où Périclès, par l’ascendant de son génie et de sa parole, gouvernait un peuple libre qui commandait à la Grèce tout entière, nous aurons le courage d’aller jusqu’à Cléones, où Antipater fit couper et jeter aux chiens la langue d’Hypéride, — jusqu’à Calaurie, où Démosthène expire les yeux tournés de loin vers cette Athènes qu’il n’a pu sauver.

La constitution de Solon et surtout les réformes de Clisthènes, en appelant le peuple aux assemblées du Pnyx et en établissant la responsabilité des magistrats, avaient, dès le VIe siècle, fourni la matière de grands débats politiques et judiciaires auxquels le vif esprit des Athéniens prit tout d’abord un singulier plaisir. Malgré l’influence que gardait encore l’élément aristocratique, il fallait déjà, pour décider de la paix, de la guerre ou des alliances, une délibération publique où l’avantage devait être à celui qui apporterait les meilleures raisons et saurait le mieux les faire valoir ; les comptes que les magistrats avaient à rendre en sortant de chargé pouvaient devenir autant d’occasions de procès que passionnerait