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Elle possède, il est vrai, d’admirables écrivains, mais ce sont encore des disciples de la Grèce ; ils sont originaux par certains côtés et certains accens, mais tous pourtant imitent et traduisent plus ou moins, tous ont devant les yeux un modèle hellénique. L’Italie du XVIe siècle, la Florence des Médicis, égalent la Grèce dans le domaine des arts plastiques ; elles y portent autant d’imagination et de verve créatrice, seulement leur littérature est bien moins riche, moins profonde, moins variée : hors Machiavel, elles ne nous offrent pas un seul écrivain de premier ordre. C’est que l’Italie de la renaissance est découragée, dégoûtée de l’action, usée par ses discordes intestines ; c’est qu’elle laisse, sans plus résister, s’étendre sur ses campagnes l’ombre de la domination étrangère. Le cœur n’y est pas au niveau du génie. Il en est tout autrement d’Athènes depuis les guerres médiques jusqu’à la fin de la guerre du Péloponèse. Elle continue à ses risques et périls la lutte contre les Perses, qu’allaient déserter l’incapacité et la lenteur Spartiate ; elle se fait le soldat de la Grèce. Insoucieux de leur petit nombre et de l’effort prodigieux qui leur est imposé, ses citoyens sont partout à la fois, en Égypte, en Asie-Mineure, dans l’Euxin, dans la Mer-Ionienne ; ils combattent sur terre et sur mer, jusqu’à ce qu’ils aient imposé à la Perse le glorieux traité qui affranchit toutes les cités asiatiques, et qui fait enfin de la mer Egée, fermée aux flottes phéniciennes, une mer grecque. Alors même ils ne se reposent pas, si bien que les historiens, dans le tableau qu’ils nous tracent des hauts faits de l’infatigable Athènes, ne prennent que le temps de noter au passage ce grand événement. Délivrés du soin de combattre les Perses, les Athéniens travaillent à étendre et à consolider ce vaste empire maritime dont Athènes est devenue le centre ; quand leur suprématie est attaquée par la moitié de la Grèce conjurée contre eux, ils la défendent avec une énergie longtemps victorieuse, ils résistent même au désastre de Sicile, et ne succombent qu’après dix années d’une lutte inégale où plus d’une fois encore ils semblent tout près de ressaisir l’avantage. Pendant qu’ils luttent ainsi contre les Perses, puis contre la ligue dorienne, ils transforment leur constitution, ils font, dans les conditions où elle était possible alors, la plus large et la plus sincère application des principes démocratiques qui ait été tentée dans l’antiquité. En même temps Athènes faisait porter au génie grec les derniers, les plus beaux fruits de son radieux été. L’art avait jusqu’ici retardé sur la poésie. La Grèce adolescente avait eu l’épopée, clair miroir où s’étaient réfléchis, comme font les arbres et les nuages en un lac limpide et profonds les premières images des hommes et des choses. Un peu plus tard, dans la suite de son heureuse jeunesse, la Grèce avait inventé le poème didactique, l’élégie et l’ode, qui traduisaient le premier effort de l’âme