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Le salut de la France, le salut de l’unité française, du nom et de l’honneur français, voilà le but, marchons-y tous. Que peut la force contre le droit, si le droit a du cœur et s’il s’obstine à se défendre ? Sur une partie du territoire, sur le quart, sur le tiers peut-être, sur la moitié, si vous voulez, la force triomphera, la force organisée, cet infernal et moderne mélange de science et de barbarie dont je sais trop bien la puissance ; mais fût-elle cent fois encore et plus savante et plus barbare, si la justice n’est pas de son côté, ne craignez rien, son succès sera fragile ; courage et patience, le droit l’emportera, si mal organisé, si mal servi qu’on le suppose.

De cette vérité, ne l’oublions pas, mon cher monsieur, nous avons un garant que ne peut récuser la Prusse, la propre mère de ce monarque humanitaire, de ce pieux émule d’Attila, qui pousse en ce moment ses Huns sur nos cités en cendre et sur nos champs ensanglantés. Il vous souvient sans doute d’une admirable page écrite il y a trois mois, presque au début du siège, par l’éloquent prélat qui est lui-même, à cette heure, aux prises avec la guerre, lui disputant son troupeau ; il nous révélait des paroles que la reine de Prusse, alors au plus profond de ses misères royales et des calamités de son peuple, écrivait en 1810, en parlant de Napoléon Ier : « Cet homme tombera, disait-elle, il n’agit pas selon les lois de Dieu, mais selon ses passions. Aveuglé par la bonne fortune, il est sans modération, et qui ne se modère pas perd nécessairement l’équilibre et tombe… Je crois en Dieu, je ne crois pas à la force ; la justice seule est stable. » Ces grandes et sévères paroles, c’est à Versailles, c’est à son fils que la noble femme aujourd’hui les adresse : elles n’y seront pas comprises, je le sais trop d’avance ; mais l’heure viendra, et plus tôt qu’on ne croit, où, comme témoignage d’admiration et de respect, nous les graverons, ces paroles, sur les tables d’airain qui porteront la date de notre délivrance ; ce qui fut prophétie pour la Prusse le sera pour notre pays, puisque devant Dieu, comme devant les hommes, depuis Sedan, surtout depuis Ferrière, il est prouvé, et de toute évidence, que, dans cette horrible guerre, le droit est de notre côté.


L. VITET.



LA MORT DU COMMANDANT FRANCHETTI


AU MÊME.

Cher monsieur,

L’autre jour, dans une de ces lettres éloquentes qui sont une bonne fortune pour les lecteurs de la Revue, M. Vitet vous parlait d’un vieillard, M. Piscatory, qui, au terme d’une vie noblement consacrée au