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tin de reconstruire péniblement une Gaule française, aspirait toujours à recouvrer sa limite du Rhin. Les romans de chevalerie du cycle carlovingien sont pleins de cette idée. Le célèbre Gérard de Roussillon des légendes chevaleresques était de famille alsacienne, et lorsqu’au réveil de l’esprit humain l’attention se reporta sur les monumens de l’antiquité, la France nouvelle crut avoir retrouvé ses titres légitimes dans l’indication classique des limites de la Gaule. La pensée perce déjà dans les lettres de l’abbé Suger, et ce n’était point une pensée de conquête ; c’était une impulsion de fraternité que les croisades entretenaient, et qu’un intérêt de sûreté territoriale devait transformer un jour en raison d’état. Le Rhin alsacien était encore à cette époque ce qu’il avait été dans l’antiquité gauloise, une limite aussi sûre que les Alpes et les Pyrénées ; il était bordé d’innombrables dérivations, d’immenses forêts, d’impénétrables marécages, qui en rendaient les approches très difficiles. Aussi l’empereur Albert Ier, Alsacien d’origine, fils de Rodolphe de Habsbourg, traitant en 1299 avec Philippe le Bel, reconnaissait-il que le royaume de France, qui ne s’étendait que jusqu’à la Meuse, devait naturellement et pour sa sûreté s’étendre jusqu’au Rhin[1]. La politique avait fait alors une position particulière à l’Alsace. Patrimoine d’affection de la maison de Souabe, les Frédéric, attirés ailleurs par leurs grandes affaires, avaient livré l’administration de ce duché à des landgraves héréditaires, les comtes de Habsbourg, qui leur furent invariablement fidèles, mais qui, après la chute de cette maison impériale (1254), durent beaucoup accorder à l’esprit provincial pour se maintenir eux-mêmes dans le pays et y remplir l’office ducal, supprimé de fait. Du même coup, les feudataires alsaciens devinrent immédiats de l’empire, et les Habsbourg, parvenus eux-mêmes à la couronne après le grand interrègne, durent multiplier les privilèges municipaux dans une contrée où ils voulaient rester populaires. L’Alsace fut donc en droit comme isolée dans l’empire, et demeura l’un des objectifs de la couronne de France. Il n’y eut pas jusqu’au faible Charles VII qui, à peine échappé des périls de la lutte avec les Anglais, ne répétât, dans une occasion qu’il croyait favorable, celle des troubles de Suisse (1444), que le royaume de France avait au Rhin ses limites naturelles. Aussi Louis XI fit-il ce qu’il put pour empêcher l’accomplissement de la vente que Sigismond d’Autriche avait faite de l’Alsace à Charles le Téméraire, acte qui fit perdre à la maison de Habsbourg l’affection des Alsaciens. Ils s’en souvinrent en 1525, à l’époque de la guerre des paysans, lorsqu’au lieu d’invoquer la maison d’Autriche pour les délivrer, ils

  1. Voyez le conteur anonyme de la chronique de Girard de Frachet, dans le recueil de D. Bouquet, XXI, p. 6-70, et Guillaume de Nangis, sur l’an 1299.