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choses ; mais elle les avait faites sous la pression des circonstances et comme au jour le jour, sans trop savoir où la menaient l’élan de sa jeunesse, les faveurs de la fortune et la sagacité des chefs qu’elle s’était donnés. Ceux-ci, tout entiers à la pensée de résoudre les difficultés du moment, n’avaient fait qu’entrevoir et que deviner par instans le but éloigné de tant d’efforts. Périclès le premier eut une vue d’ensemble, un système, un idéal. Avec lui et par lui, Athènes prit conscience d’elle-même, de son génie, de ses destinées. C’est donc à juste titre que le nom de Périclès est resté attaché au siècle qui le vit naître ; Périclès gouverne alors Athènes, et Athènes marche à la tête de la Grèce.

Ce qu’il y a de particulier dans la situation de ce grand homme, c’est qu’il clôt une période et qu’il en commence une autre ; il nous apparaît comme une haute et fière statue dressée sur la frontière de deux mondes. Derrière lui, c’est la Grèce d’Homère et d’Hésiode, d’Archiloque et d’Alcée, de Pindare et d’Eschyle, la Grèce spontanée et poétique, dont le drame athénien est l’épanouissement suprême ; l’épopée et l’idylle alexandrine ne seront que des fleurs d’arrière-saison et des plantes de serre chaude, au feuillage élégant et au parfum délicat, mais dépourvues de cette vigueur et de ces riches couleurs que peuvent seuls donner la pleine terre, la brise et le soleil. De l’autre côté, — et c’est là ce que Périclès montre du geste et du regard, — nous avons la Grèce arrivée à l’âge de la réflexion, la Grèce de la prose, de l’histoire, de l’éloquence politique, de la philosophie, de la science. Nous devons nous renfermer ici dans notre cadre, l’étude de la parole appliquée aux débats de la place publique et des tribunaux ; mais dans ces limites mêmes on pourra suivre tout le mouvement de l’esprit grec. Pendant que Périclès offre à la Grèce le premier type de l’orateur gouvernant par sa parole une cité libre, ailleurs on ébauche la théorie de l’éloquence et du raisonnement. La rhétorique naît en Sicile, la dialectique dans la Grande-Grèce. Bientôt après viennent des esprits étendus et souples qui, comme Gorgias, sont à la fois rhétoriciens et dialecticiens. Athènes est leur principal rendez-vous ; mais ils parcourent la Grèce tout entière, et ils exercent une grande influence sur les plus distingués de leurs contemporains. Ce sont eux que, depuis Platon, on appelle d’ordinaire les sophistes. Ce terme, comme l’indique son étymologie, désignait d’abord tous ceux qui cherchaient à en savoir plus que le vulgaire, à être habiles dans un art quelconque, dans un ordre de connaissances tant soit peu relevé. Hérodote l’applique à Solon et à Pythagore, pour lesquels il professe la plus haute estime ; un siècle plus tard, Eschine l’emploiera, sans aucune intention de blâme ou de raillerie, en parlant de Socrate.