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leur prétention de mettre la main sur l’état, et le pays envoie à l’assemblée nationale une majorité aux instincts conservateurs, Lamartine lui-même perd sa popularité sur un soupçon d’infidélité à l’idéal dont on voyait en lui la personnification, parce qu’il a semblé pactiser avec les chefs des agitateurs. Les journées de juin éclatent comme l’explosion furieuse de l’esprit de sédition, aussitôt la république descend, et Lamartine descend avec elle, tandis qu’au contraire la réaction monte, monte sans cesse, jusqu’à rendre les coups d’état possibles, jusqu’à se préciser dans un nom et dans un gouvernement de mauvais augure pour la liberté aussi bien que pour les institutions républicaines. Ce parallélisme se déroule invinciblement, et toutes les fois qu’une situation semblable se reproduit, les mêmes conséquences se dégagent d’une manière irrésistible, parce qu’elles sont dans la logique intime des choses.

Tout est là. C’est une puérilité d’esprits étroits de croire qu’aujourd’hui, après avoir passé par la révolution démocratique la plus complète, après avoir vu depuis quatre-vingts ans défiler toutes les monarchies, dont aucune n’a pu même atteindre une durée viagère, la France puisse être enlevée à la république par un simple fanatisme de royauté, dans l’intérêt d’une dynastie ; mais la vérité est qu’il y a toujours deux républiques en présence. Il y en a une que le pays est tout prêt à accepter et à pratiquer, que Lamartine, après l’avoir représentée dans ses grands jours, définissait lui-même dans l’assemblée nationale : république légale et libérale, « république de conservation des intérêts légitimes avec l’accord des intérêts progressifs, république des intérêts populaires sans dépossession des propriétaires, république de paix en Europe et de sécurité dans le pays, république humaine, clémente, généreuse, qui abolit jusqu’au signe même des violences révolutionnaires… » Il y a aussi la république des exhumations sinistres d’un autre temps, des perturbations de rues, des motions incendiaires de clubs, des proconsulats d’opinion, des violences morales, des défiances irritées et jalouses. Il faut choisir entre les deux systèmes. Il faut savoir si on veut sérieusement que les institutions nouvelles s’enracinent et durent de façon à protéger la nation dans son indépendance comme dans sa liberté, et il faut bien aussi se mettre dans l’esprit que les plus efficaces fauteurs de monarchies ne seraient pas les monarchistes ; ce seraient ces républicains de l’école révolutionnaire ou dictatoriale qui, au prix d’une victoire momentanée pour eux, s’ils pouvaient l’obtenir, prépareraient une fois de plus la défaite de la république elle-même, recommençant ainsi le cercle éternel où depuis quatre-vingts la France s’épuise à la recherche d’un gouvernement.


CH. DE MAZADE.