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mortalité portant sur la population tout entière, cette réputation est justifiée. Elles accusent en effet un excédant formidable des décès sur les naissances. Or c’est encore là un de ces résultats en bloc qu’il faut discuter, si l’on veut en comprendre la signification vraie. Les blancs de Bourbon forment en réalité deux classes ou mieux deux races distinctes par les mœurs et les habitudes. La première comprend la population des villes et des grandes habitations, qui mène la vie ordinaire des colonies, et se garde surtout de ce travail de la terre que l’on assure être si meurtrier ; l’autre comprend ce que l’on appelle les petits-blancs, descendans d’anciens colons qui, trop pauvres pour se procurer des esclaves, avaient bien été forcés de cultiver le sol de leurs propres mains. Eh bien ! de ces deux classes de colons, c’est la première seule qui alimente la mortalité tant de fois signalée. Les petits-blancs font comme avaient fait leurs pères ; ils habitent et cultivent les districts les moins fertiles de l’île. Loin d’en avoir souffert, leur race s’est perfectionnée ; les femmes surtout sont remarquables par la beauté des formes et des traits. Cette race s’entretient parfaitement par elle-même. Ce n’est pas que le croisement y soit pour quelque chose ; non, le petit-blanc, très fier de la pureté de sang qui fait sa noblesse, ne s’allierait à aucun prix avec le nègre ou l’émigrant indien. C’est qu’à Bourbon, tandis que l’oisiveté et les habitudes qu’elle amène tuaient le riche et ceux qui cherchaient à l’imiter, le pauvre s’acclimatait par la sobriété, la pureté des mœurs et le travail.

Nous n’avons fait qu’indiquer les traits principaux d’une des questions les plus vastes et les plus complexes de l’anthropologie générale ; mais c’en est assez, croyons-nous, pour montrer combien il faut ici se tenir en garde contre les conclusions prématurées, et combien l’analyse des faits est souvent nécessaire pour échapper à l’erreur. Évidemment on s’est trompé quand on a regardé toutes les races humaines comme pouvant également vivre et prospérer n’importe où ; on s’est trompé plus encore lorsqu’on a déclaré qu’aucune race ne pouvait franchir ses limites géographiques. Au contraire tout conduit à faire admettre qu’en dehors d’un certain nombre de points exceptionnels les races humaines peuvent s’acclimater dans les régions les plus diverses, à la condition de subir des pertes proportionnelles à la différence des milieux. Souvent l’homme peut diminuer ces sacrifices grâce à l’étude, à la science, à l’industrie. En tout cas, il dépend de lui de ne pas les aggraver par l’imprudence, par l’inconduite. L’acclimatation est en grande partie une simple question d’hygiène, et à ce propos il est facile de constater ici peut-être plus qu’ailleurs que veiller sur la santé de l’âme, c’est le plus sûr moyen de garantir la santé du corps.


A. DE QUATREFAGES.