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en outre infiniment plus graves. Les immenses lagunes de Corrientes[1] n’engendrent que des fièvres légères ; on sait combien sont dangereuses au contraire celles des Marais-Pontins, bien plus éloignés pourtant de l’équateur[2]. Il serait beaucoup plus difficile à l’Européen, au Français, de vivre en Italie, sur les bords du Carigliano, que dans l’Amérique du Sud, sur ceux du Parana. Comment se fait-il que ces localités, présentant en apparence des conditions si semblables, exercent sur les organismes des actions aussi différentes ? Peut-être la science résoudra-t-elle un jour ce problème. Aujourd’hui il est à peine possible d’espérer qu’elle est sur la voie d’une solution. Des expériences ingénieuses ont montré d’abord que la rosée des marais renfermait des traces de matière organique ; puis le microscope y a découvert des algues, des infusoires, des germes d’espèces encore indéterminées. Quelques-uns de ces êtres introduits dans l’organisme humain y jouent-ils le rôle d’un ferment délétère, et par leur multiplication amènent-ils les réactions redoutables auxquelles il succombe parfois avec une rapidité foudroyante ? L’avenir seul, je le répète, pourra répondre à ces questions.

Quoi qu’il en soit, il paraît résulter des études de M. Boudin que les miasmes paludéens sont le plus grand, souvent l’unique obstacle à l’acclimatation de l’Européen dans la plupart des localités où l’entraîne l’esprit d’entreprise. Il y a dans ce fait quelque chose d’instructif et d’encourageant. Il dépend jusqu’à un certain point de l’homme de refaire le milieu. Selon qu’il agit, il améliore ou aggrave ses conditions d’existence. Ouvrir un canal d’écoulement aux eaux stagnantes d’une contrée fiévreuse, c’est presque à coup sûr couper court au mal ; fermer ou laisser encombrer une issue de cette espèce, c’est faire naître ou rappeler la maladie. Malheureusement c’est trop souvent contre lui-même que l’homme emploie ce pouvoir tantôt par incurie, tantôt par une inintelligente cupidité. Abandonnée à elle-même, déshéritée des soins qui l’assainissaient et l’enrichissaient, la campagne romaine est aujourd’hui une succursale des Marais-Pontins. Chez nous, la Dombe, qui jadis ne se distinguait en rien des pays voisins, était devenue inhabitable pour une autre population que la sienne, grâce à la multiplication artificielle des étangs. Avant les travaux entrepris depuis peu sous l’empire d’idées plus justes, l’habitant du Lyonnais ou du Mâconnais ne pouvait aller faire la moisson dans cette région si tristement altérée sans s’exposer presque autant que dans une campagne au Sénégal. Pour un montagnard du Forez, l’acclimatation dans la Dombe n’était guère moins périlleuse qu’aux îles du Mexique, tant

  1. Elles sont situées au 28e degré de latitude méridionale.
  2. Ils sont placés au 42e degré de latitude septentrionale.