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au piège de sa générosité et le fusiller à bout portant ! Ce n’est pas eux qui auraient jamais cette méchante et lâche idée d’abriter sous le drapeau des ambulances des convois de poudre et de munitions. — Vous nous avez jusqu’ici vaincus, monsieur le comte ; mais quand même vous nous réduiriez aux dernières extrémités, quand vous nous écraseriez sous vos canons Krüpp, il y a une chose dont vous ne pourrez pas orner votre victoire. Ni vous, ni ces peuples que vous entraînez à votre suite, vous ne pourrez ajouter à votre sanglante auréole ce rayon d’une flamme immatérielle qui éclaire et console nos défaites en attendant qu’il décore nos tardifs succès : l’honneur.

Parlerai-je de ces autres moyens moraux que l’on dirige d’une main si sûre, de cette conspiration permanente avec l’émeute dans les pays que l’on mine sourdement ou dans les villes que l’on assiège, de ces menées et de ces intrigues avec le désordre qui sont un crime, non pas seulement contre un état, mais contre l’humanité ? — Il y a surtout un procédé où nos ennemis excellent, c’est celui des fausses nouvelles. Il faut croire que ce procédé avait de profondes racines dans la tradition du pays et l’instinct de la race, puisqu’il est l’objet tout spécial de l’honnête indignation de Kant. Cette méthode vraiment prussienne de la mauvaise foi appliquée à la guerre, le prince Frédéric-Charles pourrait l’appeler l’art de combattre les Français aussi justement que la tactique qui nous a valu plus d’une sanglante défaite. Personne n’ignore combien nous sommes faciles aux impressions, nerveux, impatiens d’événemens. exaspérés par la séquestration morale qui nous isole du reste du monde. Que fait-on ? On ne nous prive pas entièrement des nouvelles du dehors ; on nous les ménage, on les choisit, on les fait passer par le filtre de la haine la plus clairvoyante ; les mauvaises passent d’emblée ; on les exagère à plaisir, au besoin on les invente. A Metz, à Verdun, on obtient des capitulations par d’odieux mensonges. Nous les avons vus ici même, nous les voyons tous les jours à l’œuvre, ces artisans de fourberies. Nous savons comment on pratique cet art de démoraliser son adversaire, comment on agit sur nos avant-postes crédules, comme on ébranle ces bravoures prêtes au combat et à la mort, mais non à une mort inutile, en les leurrant de la perspective d’un armistice déjà conclu, d’une paix prochaine. Dans ces attentes vaines, le courage se détend, l’esprit d’une grande cité se déshabitue de la lutte ; on oublie vite les résolutions prises, les habitudes de la vie nouvelle acceptées avec un sombre enthousiasme. — Il se produit comme un affaissement des volontés et des cœurs, et cette défaillance vaut pour l’ennemi plus qu’une victoire sur le champ de bataille. — Un jour, ce sont des catastrophes inattendues que l’on nous annonce et qui, viennent ruiner les restes chancelans de nos espérances. — Un autre jour, c’est