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tement et la France occupée par l’ennemi dans plus d’un tiers de son territoire. N’importe, l’œuvre a marché.

C’est l’honneur du général Trochu de ne s’être point laissé un instant ébranler, et il a eu d’autant plus de mérite qu’il n’avait peut-être pas au commencement une foi bien entière dans le succès d’une telle entreprise. Il s’est mis au travail, il a demandé à la population parisienne le concours de son patriotisme, de l’abnégation, des sacrifices, et par l’inspiration du devoir, par la droiture du caractère, par une activité patiente et méthodique, il a fait ce que le génie le plus impétueux n’aurait pu faire ; il s’est montré digne d’un succès qui au premier abord semblait difficile en ne livrant rien au hasard, et il est arrivé ainsi à constituer énergiquement cette défense qui sauve l’honneur de Paris, qui entre maintenant dans une phase plus décisive, la phase de l’action. Ce qui n’eût point été possible il y a trois mois l’est devenu aujourd’hui ; c’est le commencement d’une situation nouvelle où tout peut changer d’un instant à l’autre pour la France.

Sans doute, nous ne le méconnaissons pas, l’invasion continue à tourbillonner autour de nous et à se répandre comme un torrent sur notre territoire. Elle s’est montrée un instant à Dijon, où elle a rencontré une assez vigoureuse résistance ; elle a débordé vers la Loire, elle est allée d’un autre côté jusqu’à Chartres, elle s’est étendue dans un certain rayon de la Normandie. Cela est malheureusement certain, — de l’aveu de M. de Bismarck, nous avons sur notre sol tout ce que l’Allemagne peut donner de soldats, sans compter les suivans et les parasites des armées. C’est une véritable inondation de barbares ; mais enfin à quels résultats sérieux et décisifs est-elle arrivée, surtout depuis un mois, cette armée toute-puissante, innombrable, dont les chefs avaient promis à l’Allemagne qu’ils allaient forcer du premier coup les portes de la grande cité parisienne ? Elle est peut-être plus embarrassée que le premier jour, car il ne faut pas croire qu’une invasion qui se prolonge soit sans péril pour l’envahisseur lui-même, réduit à s’affaiblir en se divisant, en s’étendant, ou à laisser l’espace libre autour de lui en se concentrant. Les Allemands n’ont rien fait depuis un mois, ils n’ont pu empêcher nos propres forces de s’organiser, quoique M. de Bismarck se soit vanté de pouvoir aller étouffer dans l’œuf nos jeunes armées, quoique le prince Frédéric-Charles ait prétendu orgueilleusement qu’il irait « partout, partout, » jusqu’à Marseille s’il le fallait, et en définitive les chefs de l’état-major prussien pourraient bien commencer. À s’apercevoir que la conquête d’une nation n’est pas une de ces entreprises qui s’accomplissent d’un coup de tactique, qu’il ne suffit pas de vouloir pour aller partout.

Pour nous assurément, nous sommes payés pour ne pas avoir des illusions démesurées ; nous ne nous croyons plus à l’abri des revers, et il n’est pas dit que tout doive nous réussir dans cette phase nou-