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en foule du fond des villes, des villages et des hameaux, — et nous, les habitans. de la capitale assiégée, si l’on nous proposait de passer les ponts-levis de nos portes et de tenir garnison dans nos propres forts, nous osions répondre par des murmures !

Par bonheur, les Français ont un ressort assez énergique pour que les abattemens soient chez eux de courte durée. La seule différence que l’on constate après la crise, c’est qu’il y a plus de calme et de sang-froid dans les courages. Si quelqu’un en pouvait douter, nous n’aurions pas écrit ce que l’on vient de lire, et nous aurions caché silencieusement notre douleur. Aujourd’hui donc, toutes les compagnies de guerre sont définitivement constituées, et le gouvernement dispose ainsi de plus de 100,000 hommes, qu’il aurait pu sans doute appeler à l’activité avec plus de discernement, mais qui sont prêts, qui ont compris que l’heure des réclamations était passée, qui feront ce qu’on attend d’eux. Déjà l’occupation de Bondy, opérée le 24 novembre par le 72e bataillon, est du meilleur présage, et nous savons que d’autres bataillons prennent une part glorieuse à la grande lutte qui a commencé le 29. Sans doute l’heureuse annonce de la victoire d’Orléans est arrivée à point pour nous faire respirer, si j’ose dire, une autre atmosphère, sans doute le succès du général d’Aurelle et les récits encourageans qui sont envoyés de province ont produit un changement soudain dans le langage de l’armée et dans le ton même de la presse ; mais nous devons surtout nos vaillantes dispositions à un prompt retour vers nous-mêmes et vers la réalité des choses. Persuadés qu’il faut, pour en finir, engager la lutte à outrance, nous ne sommes plus à la merci ni des rumeurs ni des événemens. Dussions-nous éprouver encore d’autre déceptions, dussent nos malheurs passer notre attente, nous savons que beaucoup mourront peut-être, mais que Paris fera son devoir.

Tandis que les bataillons de dépôt sont aux remparts comme par le passé, les compagnies mobilisées achèvent de s’équiper à tour de rôle et partent pour les points qui leur sont assignés. Les hommes qui les composent vont être appelés au service des avant-postes, des grand’gardes, et à l’occasion ils se mêleront dans la bataille à leurs camarades de la mobile et de la ligne. La garde nationale sera, selon le vœu du général Trochu, selon son propre vœu, une armée véritable. On a vu quel était son fort et son faible. Si les défauts que nous avons signalés sont graves, il suffira d’appliquer énergiquement les remèdes certains que le bon sens suggère.

Avant toutes choses, il faut bannir de nos rangs ce vice d’ivrognerie qui nous compromet et nous souille. Qu’on ne craigne pas d’employer la rigueur. Punissez durement tous ceux qui s’enivrent, retranchez-leur la solde, mettez-les dans de vraies prisons, et, s’il le faut, que les officiers répondent de désordres qu’ils ne devraient pas souffrir. Plutôt encore que de réprimer les abus, essayez de les prévenir ; faites