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Je ne veux que courir au sommet des choses pour rendre cette pensée plus saisissable au double point de vue de l’intérêt extérieur. et de la politique intérieure du régime qui naissait en France. Quel était l’écueil possible pour la république éclatant tout à coup en Europe ? Elle pouvait, s’armant de vieux ressentimens ou troublée par de vieux souvenirs, essayer de se répandre par les propagandes violentes, devenir une menace de perturbation, s’engager dans des interventions qui eussent été aussitôt un signal de guerre universelle. Elle aurait peut-être réussi au premier moment, puisqu’elle aurait trouvé les gouvernemens désarmés ou embarrassés par toutes les révolutions qui éclataient à la fois à Vienne, à Berlin, à Milan, à Venise ; elle n’aurait pas tardé à trouver la coalition des défiances et des hostilités européennes se renouant devant elle avec le concours même des libéraux de tous les pays. Lamartine, comme ministre des affaires étrangères, évitait cet écueil, et mieux que tout autre il pouvait l’éviter, parce qu’il n’avait ni les traditions agitatrices de la première république ni les ressentimens légués par l’empire.

Étranger à des passions d’un autre temps, formé dans sa jeunesse à des habitudes de diplomatie régulière, Lamartine pouvait ménager la paix à la France sans l’abaisser, sans la désarmer de l’ascendant de ses idées et de ses principes, comme aussi sans mettre dans sa bouche un accent de défi. Quel était le caractère de son premier manifeste ? C’était l’acte de naissance de la république parmi les gouvernemens réguliers, la définition grandiose et magnifique d’une politique nouvelle qui commençait par répudier les souvenirs et les solidarités de 1792. Il disait ce qu’on voulait, cet éloquent manifeste. A la France il offrait l’abrogation théorique des traités de 1815, à l’Europe il garantissait le respect des circonscriptions territoriales fixées par ces traités, aux peuples il promettait un appui éventuel et lointain, s’ils étaient menacés dans leurs droits et dans leur liberté. Pour qui savait comprendre, c’était la paix, la paix sans faiblesse évidemment, et l’Europe le comprenait bien ainsi. Je ne sais pas si le gouvernement provisoire pouvait se présenter « la main pleine d’alliances, » comme le disait Lamartine à l’ouverture de l’assemblée constituante, au mois de mai 1848 ; il avait du moins rendu à la république nouvelle le service de la conduire très pacifiquement et assez grandement à travers les périls et les agitations de l’Europe. Qu’aurait fait Lamartine plus tard ? je ne le cherche pas. L’homme de la restauration, le poète corrigé par un Talleyrand se serait retrouvé en lui plus qu’il n’aurait fallu, c’est possible. Pour le moment, il trouvait dans son éducation et dans son inspiration le meilleur moyen de populariser la France républicaine au dehors far l’éloquence et par la dignité pacifique de l’attitude.