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une feuille périodique, Fögl d’Engiadina, contenant des articles généraux, des chroniques, des poésies et des annonces. Tout le monde sait lire dans ce petit pays où l’on gèle, et chacun, homme, femme ou enfant, parle, outre le ladin, la langue allemande. En arrivant à Pontresina, nous devions éprouver une surprise. Plusieurs habitans s’exprimaient en français avec une facilité qui témoignait d’un long exercice. Une marque d’étonnement amena l’explication nécessaire ; j’ai habité Rouen pendant quarante-cinq ans, dit l’un d’eux, et moi Cambrai pendant trente-sept ans, poursuivit un autre. — Une si longue absence a dû vous faire oublier votre langue ? — Non pas, répondit le premier, je venais encore assez souvent faire un tour au pays ; la même réplique était sur les lèvres du second. Ces émigrans agissent à la manière des oiseaux de passage : ils vont chercher le bien-être au loin, mais ils reviennent sans cesse au berceau de la famille.

Privés de moyens de travail dans une patrie ingrate, les habitans de l’Engadine, pleins de prévoyance et encouragés par des exemples, quittent, de bonne heure la haute vallée et se dispersent dans les villes de la France, de l’Italie et de l’Allemagne. Ils deviennent confiseurs, pâtissiers, limonadiers, fabricans de liqueurs ou de chocolat. Ne perdant jamais de vue l’avenir, ils ne sacrifient guère à des fantaisies ; pour abréger la durée de l’exil, l’argent est sévèrement économisé. Enfin le rêve de trente ou quarante années est devenu une réalité, l’Engadinien dit un éternel adieu à la maison étrangère qui lui a été propice, et il retourne au village d’où l’on voit le Roseg et les glaces du Bernina, et désormais sans souci il fera sa demeure jolie et commode. A Pontresina comme à Sils-Maria ou à Luvin dans la Basse-Engadine, les habitations, que l’on pourrait comparer à nos villas ou à de petits châteaux, sont groupées. Bâties en pierres et couvertes d’une épaisse toiture en bois, ces maisons, pourvues de très petites fenêtres, souvent de balcons et de grillages en fer doré, ou peint en vert et parfois d’un escalier extérieur, ne manquent ni d’élégance ni d’un certain caractère d’étrangeté. A l’intérieur, tout est garni de boiseries. Dans la pièce principale, les meubles, ordinairement en bois d’arolle sculpté, frappent les yeux du visiteur, l’un surtout à cause de ses énormes dimensions. Ce meuble s’élève jusqu’au plafond, la forme est carrée, les parois sont artistement travaillées et découpées à jour ; mais rien au premier abord ne permet de supposer l’usage de cet édifice : il s’ouvre à la manière d’une armoire et au centre se trouve le poêle, qui répand une forte chaleur. Comme partout ailleurs, selon la fortune et le goût du propriétaire, les appartemens affectent le luxe ou la simplicité ; mais les dispositions générales restent assez uniformes. La maison du président de la commune, M. Saraz, toute