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s’appuie sur la forme de certains mots qui désignent encore plusieurs rivières, beaucoup de montagnes et diverses localités. L’origine des Engadiniens actuels est généralement attribuée aux Étrusques, qui, pour échapper aux fureurs de Bellovèse, le chef des Gaulois venus en Italie l’an 587 avant notre ère, fuirent sous la conduite de Rhætus au milieu du réseau de montagnes qu’on n’a cessé de nommer les Alpes rhétiques. A leur tour, les Romains, qui avaient de tous côtés des stations militaires, ont vraisemblablement exercé une influence considérable sur la population de l’Engadine. Au Xe siècle, les Sarrasins se ruèrent sur les Alpes, et plusieurs d’entre eux, ayant, d’après des témoignages historiques, épousé des filles du pays, se fixèrent dans la vallée de l’Inn. On croit en trouver l’indice dans le nom d’une famille : saraz, et dans le nom de la commune de Pontresina, qu’il faudrait interpréter pons Sarracenorum, pont des Sarrasins ; mais comme il a été facile d’imaginer d’autres étymologies pour ces dénominations, il est sage de ne pas accorder trop de confiance à de simples suppositions.

Par l’ensemble des caractères physiques, les Engadiniens dénotent une origine méridionale ; ils ont les yeux et les cheveux noirs, le teint légèrement bistré, de la vivacité dans l’expression du visage. Ils parlent un dialecte qu’on appelle le ladin, et qui dérive manifestement de cette langue romane en usage chez les peuples du midi de l’Europe pendant le moyen âge. Si l’on s’en fiait à certaines assertions, on penserait volontiers que les Engadiniens s’expriment dans la langue de nos troubadours ; en comparant les poésies écloses dans la vallée de l’Inn au roman de Flamenca, au Breviari d’amor de Maître Ermengaud, au poème de Fierabras qui retrace les exploits de Charlemagne dans une expédition contre les Sarrasins, ou encore à la chronique des Albigeois, on acquiert la certitude que la différence est très sensible. A la vérité, comme l’idiome des troubadours, comme l’italien, l’espagnol et le portugais, le dialecte de l’Engadine a été formé de l’ancienne langue romane, née du latin corrompu ; mais ces divers idiomes n’ont pas été l’objet de la même culture, et ils n’ont pas été soumis aux mêmes influences. Ainsi que plusieurs patois de la Haute-Italie, le dialecte de la haute vallée des Alpes rhétiques n’a pas les voyelles finales qui donnent tant de charme et de douceur aux langues actuelles de l’Europe méridionale, et il porte le signe d’un contact avec l’élément germanique. Cet idiome possède une littérature ; à l’époque de la réformation, la Bible et bientôt différens livres de piété furent traduits en ladin : on composa des poésies. Aujourd’hui la Haute-Engadine a des ouvrages pour les écoles ; elle a au moins un grammairien, plusieurs poètes estimés et même des journalistes. A Zuz, une bourgade de 400 âmes, s’imprime