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comme le héros subitement accepté et acclamé d’un de « ces sublimes et affreux interrègnes de la raison et du droit » dont il parlait lui-même avant d’y trouver un rôle.

On s’est plu bien souvent à rechercher les causes de la république de 1848 et la part diverse des hommes qui l’avaient faite. Nul assurément n’y contribua d’une façon plus décisive que Lamartine à la dernière heure, à la dernière minute, lorsqu’une parole aurait pu encore peut-être suspendre le cours des événemens et sauver la monarchie constitutionnelle du naufrage ; mais Lamartine lui-même avec son éloquence n’aurait pas eu le pouvoir de décider une telle transformation, s’il n’y avait eu en France, depuis la première révolution, cette logique d’idées et de tendances démocratiques qui met désormais la république presque inévitablement au bout de toutes les crises, s’il n’y avait eu aussi depuis quelques années cette prédisposition maladive d’un esprit public excité, troublé ou égaré, si l’on veut, et toutes ces causes réunies n’auraient point eu encore leur effet, s’il y avait eu à la dernière heure un gouvernement moins immobilisé dans ses succès de parlement, ayant en lui-même une foi plus vive ou plus active, portant dans sa politique la force qui se défend et la prévoyance qui désarme à propos l’opinion. C’est là en définitive, ce me semble, la clé de cette révolution de 1848 qui était pour la France un grand défi jeté à l’inconnu, et pour Lamartine un avènement dans un orage, une sorte d’inauguration de règne qu’il a lui-même définie quand il a dit avec le complaisant et inépuisable éclat de son langage : « Mon action politique ne commença que dans une grande tempête imprévue, le jour même d’une chute soudaine de la royauté de juillet, déjà en fuite avant d’avoir eu le temps de combattre. Ce jour-là je fus roi d’une heure, c’est vrai… Ce n’était pas un gouvernement qu’il fallait créer à la minute, il n’en aurait pas duré deux. C’était un sauvetage qu’il fallait organiser sous le nom de république. J’eus le sentiment de cette vérité. Je fis résolument la république, je la fis seul, j’en assume seul la responsabilité. »

Qu’est-ce qu’a été cette république de 1848 et qu’est-ce qu’a été Lamartine lui-même dans la république ? Le malheur de ces crises qui décident souverainement des institutions et des hommes, c’est qu’on sait bien de quelle manière elles commencent, on ne sait pas comment elles finissent, et le lendemain du jour où on les a déchaînées, bien plus encore quand l’heure des déceptions est déjà venue, on sent plus vivement, plus amèrement quelquefois, la responsabilité qu’on n’a pas craint d’assumer. Lamartine a senti depuis cette responsabilité peser sur lui, il ne la sentait pas encore, il ne pouvait pas la sentir lorsqu’il entrait le 24 février à l’Hôtel de