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sentimens divers tenaient certainement à d’autres mobiles très humains, très personnels. À ce moment d’incertitude où un banquet pouvait devenir un signal d’insurrection et où il prononçait des paroles de feu, où il se hâtait de prendre à la tête du mouvement la place laissée vide par les chefs de l’opposition parlementaire, Lamartine, il faut l’avouer, cédait à une pensée singulière ; c’est lui-même qui le dit : « la satisfaction secrète de prendre une fois de plus cette opposition en flagrant délit de faiblesse, l’orgueil de la dépasser et de la convaincre d’inconséquence, étaient peut-être à son insu pour quelque chose dans la chaleur du discours de Lamartine… » Voilà un étrange motif de fomenter une révolution ! Cette inflexibilité que l’auteur des Girondins montrait à l’égard de la royauté de 1830 dans la scène douloureuse du 24 février et dont s’étonnaient les amis de la duchesse d’Orléans, qui se fiaient encore à une inspiration suprême de cette pathétique éloquence, cette inflexibilité aurait moins surpris, si on eût mieux connu celui en qui on mettait une dernière espérance. Sauver la monarchie de juillet par une régence était la moindre des préoccupations de Lamartine. « Au nom de quoi aurais-je proclamé cette régence ? a-t-il écrit un jour, moi qui n’avais jamais voulu adhérer au schisme de famille de 1830, moi qui lui avais renvoyé toutes mes places diplomatiques pour ne pas le servir, moi qui m’étais respectueusement refusé à tout lien avec cette royauté par scrupule de fidélité à mes souvenirs ? C’était aux orléanistes et non à moi, adversaire de la royauté Illégitime d’Orléans, de se charger de ce rôle ; logique en eux, il était absurde en moi… »

Au fond, il n’y a point à s’y tromper, c’était une sorte de représaille du royaliste d’autrefois. Lamartine voyait sans regret cette royauté qu’il appelait illégitime « s’écrouler sur son faux principe ; » il ne l’avait pas poussée dans l’abîme, si l’on veut, il ne la retenait pas au jour du suprême péril, et même devant ce tragique spectacle d’une mère, d’un enfant, submergés par le peuple, il voulut se défendre d’être un homme d’imagination ; « il arracha son cœur de sa poitrine » selon son langage, il le contint sous sa main pour « n’écouter que la raison. » La raison pour lui, c’était la république, c’était une révolution avec ses orages et ses dangers. Et puis, dans ce tourbillon qui passait tout à coup sur la France, Lamartine, sans se l’avouer entièrement peut-être, se laissait emporter par ce besoin des émotions publiques, de l’action au grand jour, de la domination morale, qui mettait pour lui une tentation ou un piège dans tous les événemens à la hauteur de ses ambitions, de sorte que ses rivalités d’homme public, ses ressentimens, ses aspirations les plus secrètes, se trouvaient d’accord pour le jeter en avant