Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confusion dont le dénoûment est tout entier dans cette parole prononcée depuis devant une cour de justice par un des vainqueurs de février : « Croyez-vous donc que les révolutions se fassent en disant le mot pour lequel elles se font ? Non ; on s’empare de toutes les circonstances qui peuvent émouvoir l’opinion publique, et à l’aide d’un coup de main on renverse le gouvernement ! » Encore une fois le « coup de main » avait réussi. Je rappelle à peine quelques traits de cette vieille histoire qui pourrait toujours avoir pour titre : comment se font les révolutions ! Il est vrai qu’il y a toujours aussi un autre chapitre préliminaire : comment les révolutions se préparent, comment elles deviennent possibles.

Chose curieuse, Lamartine s’était tenu jusque-là en dehors de cette campagne des banquets qui allait se dénouer par une si étrange fatalité. Il restait seul au milieu des partis comme on le lui reprochait quelquefois ; il semblait dédaigner les alliances, se complaisant dans cette solitude retentissante qu’il se faisait, et où la popularité allait le chercher. Il avait résolument et patriotiquement refusé de s’associer à des réunions qui, en évoquant les souvenirs de 1793, donnaient à la démocratie la couleur d’une secte ou d’un despotisme sanglant. Au moment même où s’était organisé le dernier banquet réformiste de Paris, il ne s’était pas montré un des promoteurs les plus empressés de cette manifestation, quoiqu’il eût défendu avec véhémence le droit de réunion en montrant dans le lointain la salle du jeu de paume fermée par la main du roi, rouverte par la main du peuple. En un mot, il était jusque-là, il semblait vouloir rester encore un agitateur pacifique, et tout d’un coup, par une transition singulière, il changeait de rôle et d’attitude. A mesure que les circonstances s’aggravaient, on aurait dit qu’il sentait venir l’heure de l’action, et qu’il était impatient de devancer tout le monde par son impétuosité à se porter dans la mêlée, par le radicalisme audacieux de ses idées et de ses résolutions. Tant que la question du droit de réunion n’était qu’une affaire de discussion, l’objet d’une transaction négociée entre les chefs de l’opposition parlementaire et le gouvernement, Lamartine restait froid et relativement modéré ; le jour où l’inutilité d’une transaction devenait évidente, où la question changeait de face par l’irruption possible de la multitude, Lamartine aspirait le combat, il prononçait des discours enflammés pour réchauffer l’ardeur déjà refroidie des députés de l’opposition, il donnait le signal de la résistance en s’écriant : « Si les fusils de nos soldats ont des balles, il faudra que ces balles brisent nos poitrines pour en arracher les droits du pays. Ne délibérons plus, agissons… »

Tant que dans cette crise grandissante il ne s’agissait que d’un